GONDOLA
Jouer les filles de l’air
Deux localités des montagnes géorgiennes sont reliées par un petit téléphérique, seulement constitué de deux cabines qui s’entrecroisent. À bord de chacune d’entre elles, deux jeunes femmes sont employées comme hôtesses et contrôleuses. Ne se voyant que ponctuellement, elles développent pourtant une rapide et forte complicité…
Cinéaste allemand atypique, Veit Helmer ("Tuvalu", "Absurdistan", "Baikonur"…) filme rarement son propre pays et son œuvre sillonne régulièrement l’ex-URSS. Ici, direction la Géorgie, où le réalisateur avait déjà tourné son court métrage "Georgian Summer" vingt ans plus tôt.
La fantaisie irrationnelle de Veit Helmer le rapproche du réalisme magique d’Emir Kusturica (mais les armes en moins…), de Bakhtiar Khudojnazarov (lequel avait d’ailleurs lui aussi mis en scène un téléphérique dans "On est quitte" en 1993) ou de Jean-Pierre Jeunet (il y a un petit quelque chose d’"Amélie Poulain" et de "Delicatessen", notamment dans l’usage de la musique et dans la bienveillance des protagonistes). Mélange de poésie et de burlesque, "Gondola" laisse la magie opérer, tant entre les personnages que dans les yeux du public, qui sera bien avisé d’éviter de garder les pieds sur terre pour s’évader dans les airs aux côtés des deux héroïnes du film.
Privilégiant le non-verbal (ce qui est aussi une de ses marques de fabrique), Veit Helmer s’attache aux regards, aux sourires et aux gestes comme moyens de communication. Si l’absence de dialogue peut parfois sembler pesante, elle met en valeur l’universalité des relations humaines et l’hommage assumé au cinéma burlesque (avec un clin d’œil explicite à Chaplin qu’une des jeunes femmes imite).
Au-delà des facéties, Helmer met en scène un duo fait d’innocence enfantine et de désir mutuel, qui ressemble à une apologie de la liberté. Le téléphérique devient ainsi un symbole, celui d’un lien possible entre les humains, quels qu’ils soient : l’amour tendre (et parfois sensuel) entre les deux jeunes femmes, celui tout mimi entre les deux enfants, la possibilité de faire traverser un vieil homme en fauteuil roulant, ou encore la participation collective à une sorte de fanfare bricolo... Mais s’il paraît prôner la tolérance ou critiquer le patriarcat, "Gondola" n’en est pas pour autant un film engagé au sens strict du terme, car c’est avant tout une douce folie cinématographique qui a pour ambition de s’évader du monde réel. Alors profitons allégrement de cet entre-deux téléphérique pour nous envoler loin des problèmes du monde.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur