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GODZILLA MINUS ONE

Un film de Takashi Yamazaki

Le retour du roi

Les îles Odo, au large du Japon, 1945. Un pilote d’avion kamikaze, un certain Kôichi Shikishima atterrit après avoir fui le combat. Alors qu’il essaye de camoufler son acte de désertion, Godzilla, un monstre préhistorique, surgit de l’Océan et décime la base. Les années passent et le Japon se reconstruit petit à petit. C’est alors que la terrible créature refait surface. Kôichi décide alors de réparer les torts passés et se retrouve confronté à la bête, une fois encore…

Dire que Godzilla a marqué la culture populaire serait un euphémisme. Il a en effet donné lieu à 39 films, tous produits ou supervisés par la Toho, qui n’est rien de plus que la plus grande maison de production de cinéma japonais, tout autant de séries d’animations télévisées, de jouets… Reconnaissable entre mille, avec son cri si singulier venant d’un temps où l’homme n’existait pas encore et son souffle atomique bleuté, Godzilla a su s’imposer aux yeux du grand public comme LE destructeur de métropole. L'adaptation de 1998 réalisée par Roland Emmerich va complètement dans ce sens; la créature n’étant qu’un agent du BTP prêt à tout pour raser la ville d’ici l’aube, et la réduit à l’état d’animal qui répond à un instinct. Il faut bien se rappeler que la première fois que notre lézard super star apparaît sur les écrans c’est en noir et blanc en 1954. Le Japon sort difficilement de la guerre, humainement et économiquement. Le souvenir traumatique des bombes nucléaires de Nagasaki et Hiroshima est encore bien vif dans les esprits. Ishiro Honda, cinéaste de l’époque et la Toho s’associent avec comme objectif de retranscrire le trauma de toute une nation en une histoire construite en écho pour permettre ne serait-ce que de faire le deuil et, dans une moindre mesure, d’affronter ses peurs. Aussi avant-gardiste dans ses effets spéciaux que dans ses niveaux de lecture, le premier film de la franchise s’est vite imposé comme un classique universel.

C’est là où on remarque l’intelligence de cette nouvelle version qui va piocher dans ce qui s’est fait de meilleur dans la saga, notamment son rapport au réel. Dès cette séquence d’introduction où l’on découvre notre héros, qui ne se considère pas comme tel à ce moment du film. Et c’est le premier plan du métrage qui nous l’indique : collée à la carlingue de son avion, la caméra n’ouvre pas sur le cockpit ou le paysage de la piste d'atterrissage, mais bien sur la bombe attachée en dessous. Après les cartons du début, on sait que nous sommes en 1945, sur les derniers jours de la guerre, et on ne peut s’empêcher de constater l’intelligence d’une mise en scène qui se fait efficace et classique dans le sens noble du terme. En un plan (qui dure, précisons-le) on connaît notre personnage : on sait que c’est un kamikaze qui visiblement n’a pas fait exploser son chargement ainsi que son être tout entier. Il ne devrait pas être en vie et encore moins atterrir. La puissance métaphorique agit dès cette séquence d’introduction comme elle le fera sur le reste du film. Koichi voit en Godzilla la honte de sa non-action dans cette guerre, pire, le fait d’avoir fui et potentiellement d’être aussi responsable de la défaite du Japon avec « des hommes comme lui » comme sa voisine le lui reprochera.

Godzilla est le symbole de sa fuite et de sa culpabilité. Tout le film sera centré sur le voyage de ce personnage et sur sa façon de réapprendre à vivre en dehors d’un système qui le broie. Un deuxième niveau de lecture qu’avance la narration avec ses personnages secondaires tous aussi attachants et bien écrits les uns que les autres, chacun devant réapprendre à vivre, tout comme le Japon entier finalement. Notre bon gros Godzi n’est qu’un moyen qu’a ce peuple de reprendre le contrôle de sa vie. Tout ce raisonnement pourrait être né dans l’imagination sans limite de l’auteur de ces lignes, mais la mise en scène ainsi que le récit ne font qu’aller dans ce sens. Comme lorsque Doc Noda et le Capitaine interdisent à la jeune recrue de partir avec eux : lui, le jeune, doit vivre et peut tirer une fierté de ne pas avoir joué à la guerre comme les autres. Le long métrage est parsemé de ces moments d’émotions pures où le film nous parle directement de son sujet lourd et sombre. Il ne s’empêche pas une seule seconde de contrebalancer avec des moments de joies (ce montage du temps qui passe et sa musique bucolique), de victoire ou même de réconciliation. Nous avons affaire à un film profondément humain et c’est les larmes aux bords des yeux que l’on vit le voyage deux heures durant.

Malgré sa beauté plastique indéniable et son sens du spectacle, le "Godzilla" de Gareth Edwards en 2014 se retrouvait avec des personnages au mieux fonctionnels au pire vides. Mais jamais, en délocalisant l’action à San Francisco, jamais ô grand jamais il n’aurait pu atteindre ce que "Minus One" réussit si bien: la question du sens. Le film de 2014 questionnait gentiment les Américains et plus généralement les Occidentaux sur les conséquences du réchauffement climatique, mais pas avec le même engagement et le même enracinement évocateur que le sujet du nucléaire vis-à-vis des Japonais. Louons alors de voir une représentation assez rare dans les films estampillés grands spectacles avec un Japon en ruine, d’un quotidien où les maisons prennent l’eau et où les seuls boulots disponibles à la carte sont ceux de démineurs.

Le film ose même une charge assez frontale à l’aube du troisième acte en nous présentant les hommes et les femmes de ce pays comme livrés à eux-mêmes. Avec un gouvernement qui n’ose pas créer de remous de peur d’accentuer les tensions entre États-Unis et URSS, les citoyens se retrouvent comme au temps de la guerre, sans aide, sans matériels et destinés à mourir dans leur propre crasse. Les studios américains n’ont pas su insuffler cette charge critique d’une manière pourtant simple, en construisant un récit avec des vrais personnages. On se rend compte qu’on pourrait parler longuement de la clairvoyance de la vision ainsi que des qualités techniques du métrage. Car si la question est : est-ce qu’on en prend plein les mirettes? La réponse est absolument affirmative et il sera compliqué de retranscrire le plaisir éprouvé devant chaque cadrage pensé comme un money shot, où le découpage se fait clair et gère l’espace et les échelles pour qu’on ressente le vertige des situations ou encore la brutalité de la star du film.

Rarement le roi des monstres s’est retrouvé en plein jour, impassible et stoïque, avançant coûte que coûte au détriment des vies qu’il écrase et détruit. Chaque coup dans le bitume, chaque déferlante que la bête crée, chaque projectile envoyé à 400km à la ronde est ressenti à une puissance qui fait plaisir. Mention spéciale sur la bande sonore de Naoki Sata, avec ses mélodies orchestrales et ses moments de crescendo, qui achève notre immersion dans l’univers présenté. Le film se permet également deux séquences d’un silence total (l’une intimiste et l’autre lors du climax) qui nous scotchent à notre fauteuil, le cœur serré. Et si la vraie revanche du Japon était de supplanter les Américains sur un terrain qu’ils pensent acquis ? Il y a du souci à se faire quand on voit le concept de film à grand spectacle aussi maîtrisé et respectueux de son public. Le film, malgré les tonnes de gravas et d'explosions, reste avant tout un film avec un cœur gros comme un Godzi et dont la portée va bien plus loin qu’une simple histoire de bébête géante qui attaque Tokyo. Alors qu’il fête avec ce film son 70ème anniversaire, notre lézard géant est et restera le Roi.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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