GIRLS WILL BE GIRLS

Un film de Shuchi Talati

Quelle place pour le désir féminin dans une société conservatrice ?

Alors que Mira, élève modèle de 16 ans, vient d’être promue « préfète en chef » de son lycée, elle fait la rencontre d’un nouvel élève, Sri, avec lequel elle va rapidement flirter. Évidemment, tout cela va devoir rester secret…

Girls Will Be Girls film movie

Premier long métrage de la réalisatrice Shuchi Talati, "Girls Will Be Girls" s’inscrit dans la mouvance du cinéma indien indépendant, qui questionne de plus en plus régulièrement la condition féminine dans ce pays. En se focalisant sur une élève modèle d’un pensionnat d’élite qui promeut une morale conservatrice, le film dissèque les contradictions, les hypocrisies et les tensions, qu’elles soient sociales ou individuelles.

Alors que certains films féministes manquent de subtilité en étant très frontaux, celui-ci livre un regard à la fois doux et sur le qui-vive, évitant les analyses manichéennes et les dialogues trop explicites. Ainsi, la question de la confiance est posée concernant tous les personnages, qu’ils soient masculins ou féminins. L’héroïne, Mira, est confrontée à la coexistence épineuse entre ses ambitions scolaires et son envie de vivre une adolescence plus libre, et doit composer notamment entre ses désirs sexuels croissants et son nouveau rôle de préfète en chef du lycée qui lui impose d’être exemplaire et à l’affût des comportements « inadaptés » des autres élèves. Ce statut la met dans une situation très inconfortable, avec les jalousies et hostilités que cela ne manque pas d’occasionner, mais surtout avec l’obligation impérieuse de garder secrète sa relation naissante avec un garçon, alors même que les interactions avec l’autre sexe doivent se limiter au strict nécessaire.

L’enjeu est d’autant plus important qu’elle est la première fille à endosser cette mission jusque-là exclusivement attribuée aux garçons. Une enseignante insiste d’ailleurs sur le fait qu’elle va pouvoir prouver que les hommes avaient eu tort de ne pas avoir fait confiance aux filles par le passé – ce qui ne manque pas d’être ironique puisque la même femme veille régulièrement au respect de mœurs hérités d’une idéologie patriarcale...

Dans une société conservatrice où la pression sociale peut venir de partout, tout regard et tout geste sont interprétables, que ce soit de bonne ou de mauvaise foi. C’est là où la réalisatrice se montre la plus pertinente : elle nous met dans un état de doute permanent concernant les intentions des protagonistes, particulièrement celles du petit ami et de la mère de Mira. La seconde est visiblement tiraillée, se montrant à la fois moderne, protectrice, méfiante ou encore jalouse, allant jusqu’à flirter elle-même avec Sri tout en usant de stratagèmes pour éviter que sa fille profite d’un quelconque plaisir charnel ! Quant au jeune homme, il se montre plutôt manipulateur, mais comme le fait Mira elle-même, on se pose régulièrement des questions sur le degré de bienveillance et de sincérité de ses actes et de ses paroles. En fait, "Girls Will Be Girls" est un tour de force car il permet de ressentir un état qui va de pair avec la condition féminine : une vigilance nécessaire et quasi continue, afin d’éviter les comportements toxiques hérités des traditions patriarcales (ceux-ci pouvant aussi venir des femmes elles-mêmes). Malgré les ressorts dramatiques, le film ne sombre pas pour autant dans la fatalité, affichant un mélange étonnant de lucidité, de sensualité et d’espoir.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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