FURIE
Un film sur l’exclusion… qui tend à nous exclure !
En rentrant chez eux après leurs vacances d’été, Chloé et Paul Diallo ont une très désagréable surprise : la nounou de leur fils et son mari – à qui ils avaient prêté la maison le temps de leur absence – ont changé les serrures et déclarent être chez eux. Face à une justice qui échoue dans les jours à venir à régler cette situation, Paul sombre dans la folie au risque de faire vaciller son couple et ses valeurs…
Face à la carence désormais actée du cinéma de genre dans l’Hexagone, on a désormais tendance à revoir notre échelle de valeurs à la baisse et à se contenter de quelques péloches efficaces, voire même un minimum transgressives, et encore plus si elles font montre d’une audace peu courante dans le paysage filmique actuel. Au vu d’un premier film appliqué et sans concessions ("Territoires") qui avait visé le traumatisme chez ceux qui avaient pu le voir lors de sa sortie ultra-confidentielle en juin 2011, on plaçait quelques espoirs incertains dans le nouveau film d’Olivier Abbou. Manque de bol, sa nouvelle création s’impose là encore comme une semi-déception, qui plus est en lorgnant sur un ton trop proche de celui de "Territoires". Soit celui d’un calvaire absolu, imposé autant à de faibles personnages a priori sans histoire qu’à un spectateur scotché pendant 98 minutes à une situation on ne peut plus déplaisante à regarder. Avec, en guise de pépin très embarrassant, un scénario qui fait mine d’utiliser son pitch de home invasion pour traiter trop de sujets en filigrane et les éparpiller lors d’un final quasi apocalyptique.
Le souci majeur avec "Furie", c’est qu’il fait mine de réinventer la poudre et d’injecter de la nouveauté là où il se contente de ressasser l’éternel couplet sur le réveil des pulsions violentes. Passe encore que son idée d’un couple qui investit la maison d’un autre couple nous fasse trop penser à la scène d’ouverture du "Temps du Loup" de Michael Haneke, mais hélas, dans ce dernier, la situation avait l’avantage d’être un point de départ au service d’un propos avant tout symbolique. Ici, on devine bien au fil du récit ce qui intéressait Abbou : un père de famille faible, perfusé à tout un tas de théories sur le droit de propriété et tourmenté par le spectre de l’exclusion sociale (ça cause beaucoup de racisme ici), se retrouve victime d’une situation qui concentre toutes ses peurs et toutes ses frustrations. D’où ce réveil des pulsions violentes, moins pour se venger basiquement de ceux qui l’ont « jeté dehors » que pour affirmer le droit primitif de l’individu à (re)prendre possession de ce qu’il estime lui appartenir. Tout un programme, tout un sujet riche de possibilités transgressives et provocatrices au sein d’un récit que l’on aurait rêvé le plus perturbant possible. Hélas, ce canevas subversif devient, entre les mains d’Abbou, une enfilade de situations grossières, habitées par des personnages tour à tour fonctionnels ou caricaturaux.
D’un côté, des intrus immédiatement antipathiques et grimaçants qui ne sont ni ambigus ni explicatifs sur les raisons de leur acte (ce qui les déshumanise d’entrée). De l’autre, une bande de petites frappes grotesques qui virent sans crier gare à l’abjection la plus totale lors d’une dernière demi-heure abominable (gare aux âmes sensibles). Et entre les deux, une cellule familiale soumise à rude épreuve et mise devant le fait accompli, assumant à quel point les rapports humains sont devenus rapports de propriété, fussent-ils sociaux ou sexuels – ce que la toute dernière scène du film illustre de la façon la plus lourdingue qui soit. Ce qui tient fermement le film au-dessus de la moyenne reste la prestation d’Adama Niane, impressionnant acteur déjà remarqué pour son interprétation du serial-killer Guy Georges dans "L’affaire SK1", et qui donne ici un arc dramatique riche en zigzags évolutifs. Ce qui l’enfonce bien plus bas est à peu près tout le reste, aussi bien côté casting (Paul Hamy au-delà du ridicule, Stéphane Caillard réduite à une pure présence physique) que côté mise en scène (il ne suffit pas de cartons écrits et d’un délire sous acide dans un night-club pour se rêver Gaspar Noé). Le climax du film se montre certes impressionnant et dérangeant dans le domaine du home invasion, mais il brise la force évocatrice du récit au profit d’un Grand-Guignol trop abrupt. D’où le claquage du film, trop écartelé à force de se vouloir trop vénère.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur