FUNAN
L'enfer khmer rouge
Enrôlé de force dans le régime des Khmers Rouges, un petit enfant devient le moteur de survie d’un couple placé dans un camp de travail par ce régime totalitaire. Il leur faudra tenter de survivre et d’exister pour sortir de cet enfer et retrouver la trace de leur enfant…
Avec "Funan", le réalisateur Denis Do rend hommage à l'esprit et la capacité de survie de ses parents, en retraçant près de 4 ans de leur calvaire, alors que les Khmers rouges les avaient jeté sur les routes, puis contraints à travailler jusqu'à épuisement dans des coopératives agricoles. Oeuvre envoûtante et triste, il permet, au travers d'une histoire personnelle, d'en savoir plus sur un mouvement qui coûta la vie à près de 2 millions de personnes entre 1975 et 1979, et généra plus de 500 000 exilés.
Confiscation de certains biens, destruction d’autres (la voiture…), obligation d’auto-critique, maladies galopantes faute de médecins, collaboration, corruption, toutes les facettes du régime d’Angkar sont abordées au fil du récit. Au travers du regard du petit exactions et tortures sont montrées, depuis des pendaisons jusqu’aux exécutions au milieu d’un champs, en passant par d’infâmes brûlures de cigarettes. Même le viol est abordé dans toutes ses possibles conséquences.
Évoquant par petites touches le devenir du fils et de la grand mère, séparés du reste de la famille, le film provoque en réalité une émotion rare. Doucement, il cultive la complicité entre les parents (symbolisée par un délicat et protecteur souffle du mari dans le cou ou l’oreille de sa femme). Poétique et sombre, réalisé en animation 2D traditionnelle, "Funan" rend hommage à la beauté des paysages du Cambodge (notamment des rizières), affirmée de manière régulière, comme un contraste évident entre beauté du monde et régime humain mortifère. Un bouleversant Grand prix au Festival d’Annecy 2018.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteurIl y a presque dix ans, on se souvient encore des réactions haineuses qui avaient accompagné la sortie de "La Rafle" et de la réponse hautement profonde qu’avait faite sa réalisatrice Roselyne Bosch face aux critiques (en gros, si t’aimes pas son film, t’as autant de cœur que Hitler !). Toujours le même souci de voir le cinéma traité moins en témoin de l’Histoire et de la complexité du monde qu’en tire-larmes poussif et malhonnête, visant à flatter l’émotion la plus facile et la moins subtile au détriment d’une vraie plongée réfléchie dans des enjeux bien trop complexes pour être simplifiés. Cette année, sans surprise, la standing-ovation qui aura accompagné "Funan" aura valu à l’auteur de ces lignes un violent serrage de dents, surtout au vu d’un film d’animation qui reprend toutes les ficelles et tous les défauts du film de Roselyne Bosch. Soit un nouveau traitement d’un contexte de régime totalitaire qui isole ses semblables dans des camps de travail (les Khmers Rouges remplacent ici les Nazis), et où 95% du récit se limite à voir de très vilains soldats khmers réduire tout le monde en esclavage, tuer ou menacer untel quand ce n’est pas lui casser la gueule devant le reste de sa famille, tandis que les victimes n’existent qu’au travers d’une démonstration outrancière de leur statut de victimes. Quant à la nuance et la subtilité, désolé, elles ont visiblement été enterrées en même temps que le propos.
Loin de nous l’idée de vouloir mettre en doute la sincérité du réalisateur Denis Do (dont l’histoire est ici une retranscription de son propre passé), ni même de vouloir remettre en cause la réalité de ce qui est montré (de nombreux documentaires sont déjà passés par là pour en relater la véracité). C’est bel et bien la méthode et les outils cinématographiques utilisés qui posent ici un vrai problème. A force d’insister aussi exclusivement sur le manichéisme du contexte et sur les exactions des Khmers Rouges dans le seul et unique but de créer une indignation forcée, Denis Do assèche toute possibilité de rendre son récit universel, et réduit son film à un tire-larmes des plus irritants. On en sort non pas avec des larmes aux yeux, mais avec une profonde colère au fin fond des tripes, si orientée envers le régime khmer qu’on en vient même à se rendre compte que le récit de survie de cette famille n’aura été qu’un prétexte, relégué malgré lui en arrière-plan. La beauté de l’animation – assez relative par ailleurs – n’est alors plus un critère valable pour tenter de sauver le film. Heureusement que le cinéma précieux et mémoriel de Rithy Panh ("S21", "Duch", "L’image manquante"…) existe pour creuser en profondeur l’horreur du régime khmer, histoire d’encourager une vraie approche du « devoir de mémoire » qui irait à contre-courant de ce torrent d’indignation outrancière et quasi obscène.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur