FREDA
De beaux portraits de femmes haïtiennes dans une fiction trop fouillis
Dans un quartier populaire de Port-au-Prince, en Haïti, Freda est confrontée aux violences quotidiennes. Devant la boutique de sa mère, avec sa sœur et son frère, chacun imagine un monde meilleur et les avis divergent entre se battre pour son pays ou le quitter…
Le Festival de Cannes, ce n’est pas seulement des grosses productions européennes ou américaines, c’est aussi l’ouverture vers des contrées éloignées du 7e art… En 2021, la section Un certain regard a projeté en avant-première un film venu d’un pays rare au cinéma : Haïti, cette partie de l’île des Caraïbes où se trouve la République Dominicaine, indépendante depuis deux siècles après un long passé colonial, qui est aujourd’hui gangrenée par des dirigeants corrompus, et où les habitants sont victimes d’une insécurité grandissante. C’est ce quotidien, un peu à la manière d’un documentaire, que la réalisatrice haïtienne Gessica Généus montre dans son premier long-métrage de fiction et qui va focaliser son récit sur une famille vivant dans un quartier populaire de Port-au-Prince et tenant une petite boutique qui a pignon sur rue.
Bienvenue sur la perle des Antilles, mais qui dévoile un tout autre visage dans ce film tourné en créole par une jeune réalisatrice originaire du pays. Les générations, semble-t-elle nous dire, ont bien du mal à se comprendre. La mère ultra-protectrice envers ses enfants fait partie de cette génération d’Haïtiens aux croyances si fortes en Dieu, qu’elle ne se repose que sur Lui pour garantir le salut de son pays. Et le fossé est grand avec ses propres enfants. Sa première fille préfère se blanchir la peau, héritage d’un passé colonial qui a bien du mal à disparaître, et trouver un mari qui l’entretiendra alors que la pauvreté frappe depuis si longtemps l’île. Son fils choisit la fuite, lui qui n’a plus aucun espoir dans son pays et ses dirigeants, et qui préfère tout miser sur un monde meilleur… ailleurs. Quant à Freda, la dernière de ses filles, elle prend son avenir en main avec les siens, elle étudie, mise sur la renaissance de son pays et garde espoir.
L’histoire est donc dense – certainement un peu trop – pour raconter toutes les plaies d’Haïti. Car la galerie de portraits ne s’arrêtera pas à cette famille. Les destins sombres et douloureux seront aussi racontés à travers les amis, les voisins et même les fantômes du passé qui ressurgiront pour que le scénario s’invite dans l’intime des protagonistes, et que la grande histoire – du pays – fasse écho à la petite. Le spectateur peut alors se sentir un peu noyé par tant de personnages, vu que le titre du film promettait plutôt l’éclairage d’un seul. Gessica Généus a-t-elle voulu montrer toute une diversité de situations qu’elle a elle-même connues ? Le problème est, qu’à trop vouloir en faire, elle perd l’essence de son film, dilue le message, affaiblissant sa puissance et son impact. "Freda" ne sera pas le séisme cinématographique attendu, sans être la catastrophe non plus.
Quelques beaux portraits de femmes resteront ancrés dans nos mémoires. Profondément féministe, le métrage met les hommes de côté, c’est d’ailleurs le frère qui prend la décision de tenter sa chance à l’étranger. On retiendra aussi tous ces moments où la soupape joue son rôle de décompression, quand on s’évade dans de beaux élans de pur lyrisme, quand on danse collé-serré sur un beau morceau de zouk, quand on suit dans un joli plan-séquence l’héroïne de dos qui marche droit vers son destin et quand on rit avec la famille qui palabre sur le perron de l’épicerie ! "Freda" c’est tout un peuple, tout un pays, dans une fiction malheureusement trop fouillis. Mais c’est un film qui questionne de manière juste sa jeunesse partagée entre rester et partir et qui invite dans tous les cas à l’action, car comme l’écrit Gessica Généus, « Ceux qui luttent ne meurent pas ».
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur