FOU D'AMOUR
L’amour est aveugle, et la foi (est) louche
Quelques mois après le Croate Vinko Brešan avec "Bonté divine", le Français Philippe Ramos nous offre un autre personnage de curé iconoclaste, inspiré du véritable curé d’Uruffe, Guy Desnoyers, qui avait défrayé la chronique dans les années 50 et dont l'histoire a déjà donné lieu à trois adaptations au cinéma, dont le court métrage "Ici-bas" (1996) du même Ramos, qui rallonge donc son sujet comme il l'avait déjà fait avec "Capitaine Achab" (2003 pour le court, 2007 pour le long). Ce prêtre mi-fictif mi-authentique est un hédoniste, prêt à toutes les ruses pour profiter des petits plaisirs de la vie : le foot, la vitesse en moto… et surtout la chair féminine ! Ce curé fait donc de sa paroisse rurale son terrain de jeu, son paradis terrestre, son harem secret. Enthousiaste, avenant, manipulateur et roi de l’hypocrisie, il s’attache à donner de lui une image de prêtre ouvert, dynamique et inventif, donc suffisamment utile pour tranquilliser les hommes (persuadés que leurs enfants sont entre de bonnes mains) et suffisamment moderne pour séduire leurs femmes.
Pour mettre en scène cette histoire, Ramos opte pour un savant mélange de conte et de théâtre. La narration, faite par la tête guillotinée de ce curé hors-norme, installe rapidement le personnage dans la posture du conteur (à la première personne du singulier, donc), donnant un ton tantôt léger tantôt solennel à ce récit qui flirte de temps à autre avec le merveilleux. Dès la deuxième scène, un extrait de la Genèse donne également à la Bible une valeur de fable, donc une source infinie d’imaginaire pur jus ! En cela, ce rapprochement entre Bible et conte décrit bien l’esprit du personnage : les textes religieux sont si malléables qu’il s’en sert à la fois pour manipuler les paroissiens et pour justifier ses propres plaisirs. Cette vision fabuleuse de la foi s’incarne parfois dans des images magnifiques, comme cette imitation d’icône où le curé, sur fond doré, est entouré de minuscules personnages féminins agenouillés devant lui, ou ce gros plan d’un mécanisme qui donne d’abord l’illusion d’être dans le cosmos.
L’aspect théâtral est utilisé à plusieurs niveaux. Le personnage lui-même est fasciné par cet art, au point d’enfermer dans un tiroir ses exemplaires de Shakespeare ou Hugo comme s’ils étaient plus précieux que sa Bible ou comme s’ils représentaient sa face cachée, libertine et épicurienne. Le théâtre est aussi représenté par les différents masques qu’il porte en fin tacticien pour berner le monde qui l’entoure, et bien sûr par la petite troupe amateur qu’il monte avec les villageois – surtout ces dames dont il veut s’attirer les faveurs. Enfin, le côté théâtral se matérialise dans le jeu même des acteurs. Même si ce choix est cohérent, c’est peut-être le principal défaut du film, d’une part car la direction d’acteurs paraît irrégulière, d’autre part parce que – soyons également iconoclastes – Dominique Blanc a souvent l’air empotée !
On pourrait lister quelques autres faiblesses, dont la difficulté à digérer les scènes tragiques au sein de ce qui est avant tout une comédie. Cela dit, ce décalage donne à la tragédie un impact encore plus fort, et on doit admettre que Ramos ne choisit pas la simplicité. Notons d’ailleurs qu’il ne tombe pas non plus dans un cliché qui aurait pu être dévastateur pour le film : les femmes que le curé séduit ne sont pas dans les canons de beauté qu’on nous bombarde partout, la seule s’en approchant étant affublée d’une cécité qui provoque un strabisme légèrement défigurant. Bref, malgré les quelques reproches qu’on peut faire à "Fou d’amour", on ne saurait faire la fine bouche tant l’ensemble est enthousiasmant, tant les images sont magnifiques (dont certains paysages de la région Rhône-Alpes, où a été tourné le film), tant Melvil Poupaud et Diane Rouxel y sont excellents (appuyés par d'autres comédien-ne-s secondaires succulent-e-s), et tant on prend un malin plaisir à savourer cette fantaisie douce-amère.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur