LA FORÊT DE QUINCONCES
Alexandrins de juin, chagrin !
Vu qu’il peut paraître sibyllin pour certains au vu du synopsis, il convient de commencer par expliquer le titre. Pour résumer les choses très simplement, une « forêt de quinconces » est une forêt qui présente une perspective géométrique très particulière dans la manière de planter les arbres : en effet, les arbres construisent alors une multitude de lignes de fuites, de tracés perpendiculaires et de voies rectilignes, ouvrant ainsi un vaste champ des possibles pour chaque arbre. On l’aura donc compris : le protagoniste de ce marivaudage amoureux est cet arbre fixe qui ne sait pas vers lequel des huit arbres voisins il doit se tourner pour tracer une destinée. Premier problème : alors que cette métaphore n’a aucune utilité narrative dans le récit, Grégoire Leprince-Ringuet s’est senti obligé de l’expliquer par un petit clip didactique en début de bobine. Une grosse gaffe qui, en plus de réduire à néant tout l’impact symbolique du film, prouve surtout l’incapacité du jeune acteur-scénariste-réalisateur à faire confiance à l’image pour ses débuts derrière la caméra.
L’audace suprême de ce premier long-métrage va même jusqu’à entériner ce constat à la puissance mille : "La Forêt de quinconces" est un film majoritairement écrit en vers et en alexandrins ! Si l’on se souvient encore du désastreux "Grand Retournement" de Gérard Mordillat, on sait donc que ce gadget – plus littéraire que cinématographique – n’a aucune valeur au cinéma, hormis celle de captiver une niche d’agrégés en lettres classiques pour qui la « mise en scène » est avant tout une composante du théâtre. La poésie au cinéma est avant tout affaire d’images et de sons, mariés au travers d’un montage travaillé, ce que Leprince-Ringuet se révèle incapable de faire. Le son du dialogue littéraire ne crée ici ni émotion ni crédibilité : s’affranchir des diktats du réalisme est une excellente chose (on ne demande d’ailleurs pas mieux !), mais si notre suspension d’incrédulité est sans cesse anéantie, c’est la cata assurée. Outre ces pensées en voix off en plein trajet de métro (qui ont d’ailleurs été placées en tête de la bande-annonce), le grand moment verbal de ce film restera quand même cette confrontation avec un clochard philosophe-médium : le dialogue est si grotesque et si fake qu’on en arrive à se sentir horriblement gêné. Et par ailleurs, on insiste, il ne suffit pas d’avoir l’air rohmérien dans sa peinture des enjeux amoureux pour faire du Rohmer.
Si encore l’image pouvait relever le niveau par sa douceur et sa sensualité, tout ce charabia ne serait pas trop grave. Nouvelle déception, ça n’est jamais le cas – un comble pour une histoire mettant en scène deux amours, l’un qui s’éteint, l’autre qui naît. Il y a certes le charme incroyablement surnaturel de Pauline Caupenne pour imposer un joli relief sensuel à l’image, mais tout semble ici acquis à la supériorité des mots par rapport à l’œil, comme si exprimer le sentiment amoureux pouvait passer de l’écrit au visuel en oubliant d’opter pour un langage adéquat. Seule « idée » au compteur : un cadre qui passe subitement du format 2.35 au format 1.33. Pourquoi ? Mystère… Aucun point de vue de cinéaste ne surnage en fin de compte de ce salmigondis pédant, ridicule et prodigieusement naïf, prompt à venir grossir les rangs d’un cinéma bobo-blabla qui, de Garrel à Honoré en passant par Desplechin, n’a décidément pas encore trouvé l’angle adéquat pour que le verbe épouse l’image, et vice versa.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur