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FLEUVE NOIR

Un film de Erick Zonca

Zonca/Marchal : même combat

Le fils aîné de la famille Arnault disparaît un jour sans explication, et le commandant de police Visconti est immédiatement chargé de l’affaire. Celui-ci, alcoolique, usé par son métier et par son fils délinquant, soupçonne vite un certain Yan Bellaile, professeur particulier du disparu, de ne pas être étranger à cette disparition. D’autant que Bellaile n’a de cesse que de s’immiscer dans l’enquête, soi-disant pour aider à sa résolution…

Il vaut mieux ne pas se faire trop d’illusions sur le cas d’Erick Zonca. Auréolé en 1998 d’une posture de génie naturaliste avec une "Vie rêvée des Anges" dont seule la prestation de ses deux actrices avait valeur de mérite, l’aura du bonhomme n’aura jamais cessé de chuter dans les années suivantes, soit pour un comportement erratique et tyrannique sur les plateaux (insultes, réécritures, pépins financiers, etc…), soit pour des projets qui ne se montaient pas. Même l’intéressant "Julia" avec Tilda Swinton, passé inaperçu à sa sortie en 2007, n’aura pas suffi à redonner à Zonca l’image d’un prodige présumé qu’il ne méritait peut-être pas.

On en était presque arrivé à oublier son existence quand la sortie de "Fleuve Noir" fut annoncée. Et le résultat tient de la surprise. Agréable en raison de son parti pris (une enquête policière dans la grande tradition des investigations françaises carburant au café noir et aux enjeux glauques), mais aussi perturbante au vu de sa propension à remettre sur le devant de la scène les lourdeurs d’un autre cinéaste dont on avait fini par se désintéresser totalement, à savoir l’ex-flic Olivier Marchal.

Là encore, toutes les caractéristiques du polar marchalien percent chaque photogramme jusqu’à la déchirure : noirceur exacerbée, cadres glauques, personnages au bout du rouleau, névroses au kilo, dialogues primaires, manichéisme primaire, espoir anéanti, sans oublier l’idée même de nuance dont la seule fonction consiste à ne (presque) jamais rentrer dans l’équation. Le titre du film était déjà très clair là-dessus : on n’est pas là pour rigoler, ni pour réfléchir sur la nature humaine, ni même pour gamberger en sortie de projection sur des caractères sociaux plus complexes que prévu. On ne sait pas si Zonca se voulait aussi insistant que Marchal dans cette idée de revisiter le polar en marécage hanté par des personnages borderline qui suintent le mal-être sous un ciel sans soleil, mais les faits sont là.

Il n’est d’ailleurs pas aidé par ses acteurs : Vincent Cassel en fait des caisses en flic clodo bêtement enamouré, tandis que Romain Duris singe si maladroitement la perversité renfermée qu’on ne se fait guère d’illusions sur son rôle réel dans l’intrigue. Ce qui sauve le film se résume en fait à peu de choses : un pur jeu de filatures, entièrement dominé par des pulsions à assouvir, où tout le monde s’épie et se convoite, que ce soit par suspicion ou par désir envers l’Autre. Cela ne transforme pas le film en réussite, loin de là, mais offre une caution minimale à toute la noirceur qu’il s’échine à déballer. Aimer semble être ici de l’ordre de la maladie, et pour cause, le film est lui-même concerné : on a du mal à l’aimer, mais on peut lui reconnaître des « circonstances atténuantes ».

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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