FLAG DAY
Un drame grotesque qui ne devrait pas réconcilier son auteur et les cinéphiles
John Vogel a été majoritairement un père absent, enchaînant les petites magouilles qui l’ont souvent éloigné de sa famille. Sa fille, Jennifer, va pourtant tout faire pour l’aider à sortir la tête de l’eau. Mais il n’est pas facile de changer la nature de quelqu’un…
Revenir après le fiasco. Cinq ans après "The Last Face", l’un des films les plus critiqués jamais présentés au Festival de Cannes, Sean Penn a eu le courage d’accepter une nouvelle sélection en compétition officielle. Attendu au tournant après l’affront de sa précédente réalisation qui, pour les chanceux qui en auraient été épargnés, racontait le conflit libérien en résumant l’Afrique à un pays et en traitant l’atrocité de la guerre par une amourette entre deux humanistes sexy, le cinéaste retourne ici sur des sentiers qu’il maîtrise mieux, l’Americana. S’il a déjà su capturer les territoires ruraux de l’Oncle Sam, notamment dans ses premiers films, "The Indian Runner" ou encore "The Pledge", sa manière de filmer n’est plus la même, passant des grands angles sur les paysages montagneux ("Into the Wild" en était la quintessence) à une mise en scène esthétique, à la caméra tremblotante et aux changements de cadres et d’échelle constants.
Certainement inspiré par sa dernière collaboration avec Terrence Malick sur "Tree of Life", Sean Penn semble complètement obsédé par le lyrisme, par l’onirisme que peut créer la composition d’un plan. Malheureusement, si beaucoup essayent d’imiter le virtuose texan derrière "Les Moissons du Ciel", peu lui arrivent à la cheville, et c’est précisément l’un des problèmes de "Flag Day", cette mise en scène omnipotente, maladroite et qui frôle parfois le ridicule. Pourtant, il y avait quelque chose d’assez beau dans l’idée même de ce métrage, raconter ses propres errements à travers la puissance du medium cinématographique. En choisissant d’adapter le roman autobiographique de la journaliste Jennifer Vogel sur son père absent, ce sont également ses liens familiaux personnels que souhaitait interroger l’acteur réalisateur, confiant à ses enfants les rôles des adolescents rejetés.
De cette chronique fantasque d’un homme gangrené par l’appât du gain, au point de multiplier les arnaques et les coups foireux, Sean Penn n’en tire qu’un mélodrame larmoyant, aux ficelles très appuyées, passant finalement à côté de son sujet. Car jamais la relation dysfonctionnelle entre la protagoniste et ses parents ne trouvera un écho, la limitant à une succession de saynètes criardes et caricaturales. Si certaines idées réussissent à éviter la catastrophe (notamment l’enfance traitée par bribes, comme un puzzle dont la mémoire sélective aurait modifié les pièces), le résultat est une nouvelle fois bien léger pour pouvoir être légitimement présenté sur la Croisette. Pas de scandale cette année, juste une œuvre conventionnelle, rarement de bon goût et avec des acteurs au jeu hésitant. Circulez, il n’y a rien à voir !
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur