FICTION À L'AMÉRICAINE
Un film à deux vitesses
Thelonious Ellison, surnommé « Monk », est écrivain et professeur de littérature. Afro-Américain lui-même, il porte un regard très critique sur la racialisation de la société et sur la culture noire. Alors que les éditeurs rejettent son dernier manuscrit sous prétexte qu’il n’est pas « assez noir », il est mis à l’écart de son université pour des propos qu’il a tenus sur les questions raciales et qui ont été mal perçus par les étudiants…
Sortie le 15 février 2024 sur Amazon Prime Video
Adaptation d’un roman de Percival Everett ("Effacement") qui a valu un Oscar du scénario à Cord Jefferson, "Fiction à l’américaine" est une énième réflexion sur la condition afro-américaine. Avec un mélange de flegme à la Droopy et d’ironie satirique, Jeffrey Wright porte le film quasiment à lui tout seul, car la plupart des autres personnages se révèlent assez fades (hormis Sterling K. Brown, qui incarne un frère homosexuel et dépressif). Le constat est tout aussi bancal du côté de la réalisation, qui peut se montrer très plan-plan, notamment dans les scènes intimes (avec la famille comme avec la nouvelle petite amie du héros), alors que d’autres séquences se montrent plus inspirées et parfois mordantes.
Il en résulte un goût d’inachevé, un peu comme si l’on avait regardé un pilote mal ficelé d’une série annulée dont on ne verrait pas la suite ! Les meilleures scènes semblent ainsi arriver comme un cheveu sur la soupe, laissant des espoirs toujours immédiatement douchés par la relative banalité de ce qui suit. Ainsi, alors que « Monk » se met à interagir avec les personnages qu’il invente et qui prennent vie sous ses yeux, cette belle tentative de métalepse ne sera jamais réutilisée. En outre, bien que le pseudonyme secret du personnage donne lieu à quelques scènes drôles (les appels téléphoniques surtout), Cord Jefferson exploite irrégulièrement ce ressort scénaristique en termes de quiproquos ou de tension.
Le gâchis est d’autant plus regrettable que ce film génère des réflexions pertinentes sur l’identité. Mais le mélange entre humour et sérieux ne trouve guère d’équilibre, l’un des tons annihilant l’autre au lieu de se compléter, et le film s’égare à trop vouloir développer des pistes annexes (la cancel culture, le rapport à l’écriture, les relations intrafamiliales, la capacité à lâcher prise, etc.). Un développement sous forme de mini-série aurait peut-être donné l’occasion de mieux exploiter ces aspects divers avec un rythme plus maîtrisé.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur