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LA FEMME D'EAU

Un film de Sugimori Hidenori

De l'état de film à celui de poésie

Dans une petite ville du nord du Japon, Ryo, surnommée la "Femme d'eau" - la pluie accompagnant chaque moment important de sa vie - gère des bains publics avec son père. Lorsque ce dernier meurt accidentellement avec le fiancé de Ryo, la jeune fille devient solitaire, délaissant l'entreprise familiale. Après un pélerinage sur le Mont Fuji, elle rentre chez elle et rencontre Yusaku, un pyromane recherché par la police...

Le premier long métrage de Hidenori Sugimori est le reflet de la vie, une métaphore des sentiments humains. Alors que nous avons tous besoin de nous rattacher à une légende, ce film en prend la forme : la femme d'eau y rencontre l'homme de feu. Pourtant, La Femme d'eau se rapproche plus de notre réalité sensorielle que d'un "réel cinématographique" convenu.

Au lieu de combler la scène avec une petite musique dont le ton doit nous évoquer le sentiment que nous devons ressentir, le réalisateur n'hésite pas à couper le son. Car c'est ce qui se passe dans la vie : parfois, nous sommes tellement absorbés ou choqués par quelque chose que nous n'entendons pas le bruit qui nous entoure. Comme dans cette scène extraordinaire où le temps est suspendu quand le son s'arrête autour de Ryo, alors que la jeune femme se tient au bord du chemin qui va la mener à la première rencontre qui changera sa vie.

Car La Femme d'eau est effectivement l'histoire d'une rencontre avant d'être la description d'un mythe. Après la mort de son père et de son fiancé (le même jour mais pas pour les mêmes raisons), Ryo se rend en pèlerinage sur le mont Fuji où elle rencontrera Satoko (Yuki). De ce bout de chemin parcouru ensemble, Ryo comprendra d'où lui viennent ces images du monde à l'envers qui hantent son souvenir, et Satoko reprendra goût à la vie.

Mais cette rencontre n'est possible que grâce à la manière de filmer de Hidenori Sugimori. Comme dans la vie, où le temps est nécessaire à l'évolution des choses, le réalisateur Japonais utilise de nombreux plans fixes qui laissent le temps de vivre à ce qui est dans le cadre.

La Femme d'eau en devient un film très contemplatif, notamment grâce à de grands panoramiques sur la Nature qui semblent ne jamais vouloir s'arrêter, et à d'étranges effets de mise au point. Les images que nous offre le cinéaste nous frustrent tout d'abord, car nous avons envie d'en savoir plus sur ce don de faire tomber la pluie que possède Ryo. Et si nous ne comprenons pas tout de suite que les deux plans où l'action est suspendue sont le symbole d'une charnière dans la vie de la jeune femme, Hidenori Sugimori réussit tout de même finalement à mettre en place un monde où chaque élément semble être une des clefs de l'histoire.

Ainsi, plusieurs plans nous annoncent quelle sera l'influence de Ryo sur Yusaku, le jeune pyromane qu'elle découvre chez elle en rentrant de son pèlerinage : les essuie-glaces de la camionnette de Ryo recouvrent d'eau Yusaku qui marche devant elle, la petite maison en allumettes que le jeune homme fait brûler devant son amie s'éteint alors qu'il lui explique son problème ... Tous ces éléments visuels permettent à Sugimori de ne pas avoir à traduire en mots ce que nous avons sous les yeux, et nous comprenons donc aisément, lorsque les deux jeunes gens font le même rêve, qu'ils espèrent tous deux être leur chance réciproque.

Grâce à ces images La Femme d'eau passe de l'état de film à celui de poésie, et il suffit alors d'un coup d'œil pour ressentir à travers la nouvelle peinture du mont Fuji, où se mêlent le feu et l'eau, que Ryo et Yusaku ont fini par se trouver.

Marie Guyot

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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