FARANG
Quand Xavier Gens signe un retour percutant
Sam est un détenu proche de la libération. Malheureusement pour lui, son passé le rattrape et un drame survient quelques jours avant sa sortie. Il est alors forcé de quitter la France et se retrouve en Thaïlande où il fonde une famille et reconstruit sa vie. Sa rencontre avec le parrain local risque bien de mettre à mal ce nouvel éden…
Dire qu'on attendait le retour du fils prodigue serait un euphémisme. Arrivé sur le devant de la scène grâce à son "Frontière(s)" en 2008, film bien crado lorgnant du côté de "Massacre à la tronçonneuse", le cinéaste français Xavier Gens ne passa pas inaperçu. Malgré cette entrée fracassante dans le monde du cinéma, c'est alors un long et pénible chemin de croix, fait de déconvenues et de distributions limitées, qui attendra le jeune metteur en scène. D'abord avec son "Hitman", charcuté par la Fox et essuyant un non-succès critique et public, pour ensuite se retrouver à devoir sortir ses films directement en DVD (avec notamment le brillant et traumatique "The Divide" et le lovecraftien "Cold Skin").
Il réalisa également un segment (l'un des meilleurs précisons le) de la célèbre anthologie "ABC of Death", mais tout ceci restait à destination d'un public de niche. Et ce n'est pas sa tentative dans la comédie post "Very bad Trip" avec l'indigent "Budapest" que l'on était en droit de se dire que le système de production français avait changé et lui donnerait une chance avec des projets plus personnels. Mécontent de son expérience, il s'en alla alors réaliser des épisodes d'une série en Angleterre, "Gangs of London". Et là ce fut la révélation pour Gens : il voulu réaliser un film d'action. Et certaines productions récentes telles que "John Wick" ou plus précisément le diptyque "The Raid" prouvent un regain d'intérêt de la part du public pour des actioners bien bourrins. Il n'en fallait pas moins au réalisateur pour mettre en place son projet, maintenant que le paysage audiovisuel est plus enclin à produire ce genre de film.
Le film commence avec son protagoniste, Sam, incarcéré en prison. Au détour d'une scène, on peut voir le coach sportif de la salle de musculation incarné par Patrick Ligardes, fidèle collaborateur de Gens (il incarnait l'un des fils dérangés de "Frontière(s)"). On sent déjà une volonté avec ce retour de reconstituer une équipe qui gagne avec notamment le compositeur Jean-Pierre Taïeb (déjà à l'œuvre sur plusieurs de ses films) qui nous sert des compositions aériennes et presque oniriques. Dès cette scène d'introduction avec Sam qui ne prend pas part au combat qui se déroule sous ses yeux, on sent la volonté du cinéaste de jouer la carte du naturalisme : sa caméra est portée, proche des corps et des muscles, sa lumière est directe et naturelle. On a là une mise en scène qui fait la part belle aux instants, ces moments de flottements où tout paraît calme. Et ce procédé permet de mieux trancher lorsque survient l'action.
Ne serait-ce que dans cette course poursuite à pied où Sam échappe à ses anciennes fréquentations, on sent une véritable énergie consistant à capter l'intensité de ce type de situations sans surcharger le cadre d'effets faciles ou tape à l'œil. Le montage ici se fait clair, net et précis, et les actions sont saisies avec une caméra qui donne l'impression de virevolter autour des coups de poings et des lames de cran d'arrêt. Cette manière de briser le ton et la dynamique du rythme est quelque chose qui sera répété sur tout le métrage, qui ménage l'arrivée de ces séquences de castagnes pour décupler leur effet. Le problème, c'est qu'il faut bien raconter une histoire au milieu de tout ça.
Et c'est peut être là le gros point noir du film : son intrigue et ses personnages. Après moult "Taken" et autre Jason Stathameries (oui oui, néologisme), le simple spectateur que nous sommes se retrouve moins investi lorsqu'on lui ressert un énième parcours de héros aux lourdes casseroles, mais contraint de sauver sa famille. La mise en scène réfléchie et brute de Gens lui évite de tomber dans des caractérisations trop appuyées ou cyniques, mais faute d'une vraie psychologie, notre personnage ne se retrouve pas plus intéressant qu'un autre. Foutant en l'air son propre paradis, il devra retrouver sa fille envers et contre tous. Dommage que le seul personnage qu'on suit soit proche du mutisme et reste peu pour autant complexe. Un supplément d'âme à ce niveau n'aurait pas été de trop, surtout que Nicolas Winding Refn a prouvé avec son hypnotisant "Only God Forgives", qu'il était possible d'avoir un héros taiseux tout en tirant une réflexion autour - dans ce cas - de l'impuissance. Le problème ici, c'est que le temps entre deux castagnes tonitruantes, semble un peu long à des moments. La faute à un protagoniste qui manque de relief et d'une vraie vision.
Cet effet d'attente joue contre lui et en même temps permet aux séquences d'actions de vraiment détoner. Elles font toutes l'effet d'un uppercut en pleine mâchoire tant les cadres, les chorégraphies, la violence sèche et graphique, ont été pensés, étudiés et appliqués avec un savoir faire qui se démarque carrément de ce que la production hexagonale nous a habitué à voir. La caméra effectue des mouvements véritablement dingues et on imagine bien la préparation intensive qu'il y a dû avoir pour chacun de ces morceaux de bravoure. Mention spéciale à la séquence de l'ascenseur, véritable hommage aux films de Gareth Evans et son dyptique "The Raid" : le sang fuse, les mâchoires se disloquent et mêmes les os de l'avant-bras servent d'armes. Nous sommes ici bien plus que dans le simple hommage. Le réalisateur français s'accapare ce langage pour y apporter sa patte et une vraie identité propre à lui.
Quand on sort de la salle, on a de nouveau l'espoir que le cinéma français ose de plus en plus subventionner et soutenir de tels projets honnêtes et bien réalisés. Malgré le classicisme de son intrigue et de son personnage, nous sommes prompts à prendre notre mal en patience si c'est pour être récompensé de la sorte. "Farang" est un film d'action qui respecte son spectateur et lui en donne pour son argent. Nous on dit oui. On dit oui au contre-emploi de Olivier Gourmet en mafieux local tout en flegme et bon mot. On dit oui au retour sur nos écrans après presque 10 ans d'absence de Xavier Gens. Et si la prochaine fois il pourrait greffer une véritable vision, un commentaire sur son monde et son personnage, on en sera que plus satisfait. Xavier Gens, nous te soutenons !
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur