Festival Que du feu 2024 encart

EXHUMA

Un film de Jang Jae-hyun

Sombre à souhait

Une riche famille coréenne exilée aux États-Unis a demandé à deux experts d’effectuer un rituel autour d’un bébé, craignant pour la mort de celui-ci. Mais alors que la jeune chamane Hwa-rim essaye de rentrer en contact et le médium Bong-gil effectue une prière, c’est vers l’esprit du grand père qu’ils orientent la famille, conseillant une exhumation au pays, dans le nord de la province de Gangwon-do, afin que celui-ci soit apaisé. Ils font alors appel à deux responsables de pompes funèbres, dont l’un est expert en feng-shui, avec lesquels ils travaillent dans ce genre d’affaire. Mais lors de la première visite auprès de la tombe, isolée en montagne, et la pierre tombale ne portant aucune inscription, Kim Sang Deok refuse de s’engager dans une exhumation, de peur de déclencher des puissances maléfiques. Hwa-rim propose alors un « rituel de retrait », après lequel il faudra rapidement procéder à la crémation du cercueil…

C’était sans doute l’un des films les plus intrigants de le sélection berlinoise de 2024. Un film mêlant horreur et fantastique, autour d’exhumations, venu de Corée du Sud, présenté dans la section souvent expérimentale du Forum, et dont les premières photos annonçaient quelque chose de très sombre. "Exhuma" entretient le mystère dès sa scène d’ouverture, où un homme et une femme coréens sont appelés au chevet d’un bébé, l’homme déposant un petit sachet auprès de l'enfant et se mettant à prier, tandis que la femme émet quelques sifflements. Un premier rituel bien intrigant qui introduit aussi bien le père, un homme riche vivant aux États-Unis et prêt à tout pour que s'arrêtent les phénomènes paranormaux qui touchent sa famille, que deux personnages de shamans dont l’équipe ne sera que plus tard complète avec deux croque morts spécialistes en exhumation et feng shui, et qui précède un film fleuve des plus trépidants, découpé en six chapitres.

C’est donc vers une mystérieuse tombe, sans nom, et ce qui peut s’y trouver, que l’intrigue va revenir sans arrêt, formant des boucles qui ramènent sans cesse à la malédiction d’une même famille. À chaque rituel, Jang Jae-hyun (aussi a scénario et déjà auteur de "Svaha : The Sixth Finger") réussit à nous emporter dans un rythme endiablé, qui coordonnant les gestes des uns et des autres (coups de pelles et lacérations de cochons sacrifiés, par exemple, lors du fameux rituel de retrait...), provoque une certaine ivresse sensorielle contrastant avec la lenteur des scènes de découverte ou d’attente, plus angoissantes. Ponctué d’énigmes et de mystérieux lieux de culte, l’intrigue s’amuse de figures diverses, tels un cercueil entouré de barbelés (suggérant le caractère dangereux de ce qu’il renferme...), un gardien enterré, des yeux qui saignent, des vomissements, une crémation contrariée par la pluie, ou encore une étrange (et très réussie) boule de feu.

Construit à la manière d’un passionnant puzzle multicouches, où chaque retour à la fosse où se trouvait le cercueil est synonyme de danger supplémentaire, "Exhuma" est un palpitant thriller horrifique qui aurait tout pour devenir une franchise. Jouant aussi bien avec l'ampleur des paysages (la marche en forêt, en plongée...), avec d'hostiles éléments, avec d'inquiétants éléments de décor (l'aspect sculpté du cerceuil, le fronton du temple et ses signes de géomancie...), qu"avec l'invisible (une force qui traverse la shaman et provoque son évanouissement...) le film fait la part belle à la suggestion. Il suffit ainsi d'une ombre qui danse, de quelques bruits de déglutition, d'une silhouette dans un miroir, d'une tête qui entâme une étrange giration, d'un renard qui passe (signe de mauvais présage) pour que des frissons nous gagnent. Allant crescendo dans l'affrontement entre la petite troupe et une force bien plus puissante que prévu, "Exhuma" a tout pour faire sensation dans les meilleurs festivals de cinéma fantastiques de l'année (Gérardmer, Sitgès, Strasbourg, L’Étrange festival) avant de devenir un succès en salles.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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COMMENTAIRES

Isabelle

vendredi 8 novembre - 10h53

J'ai vu ce film, et je peux comprendre que certaines personnes peu familières avec les mythes coréens aient pu être désarçonnées.
Le film fait référence à plusieurs reprises aux kitsune, nom japonais d'une créature appelée en Corée "gumiho", autrement dit le renard à 9 queues qui a la particularité de se nourrir de foie humain (de préférence). Il fait également référence à l'histoire coréenne du début du 20e siècle, caractérisée par l'occupation japonaise - imaginez pour la France une occupation allemande qui aurait duré un peu plus de 50 ans - avec son lot d'exactions et, bien entendu, de compromissions de la part d'une partie des élites. Le thème d'un démon japonais venu s'installer en Corée à la faveur de cette période d'occupation a d'ailleurs déjà été traité dans plusieurs films et séries, voir par ex (si on la trouve encore) l'excellente série "Tale of the nine-tailed 1938" (où le gumiho est ici le héros, situation peu habituelle).
Mais rassurez-vous, je pense que même sans ces infos de base, le film prend bien le temps de s'installer, et nul n'est besoin d'être un spécialiste du feng-shui ou des rites des shamanes pour suivre la progression de l'histoire. Comme la critique publiée ici, j'ai été sensible à la restitution de l'ambiance, notamment des forêts qui couvrent les montagnes coréennes, souvent denses et brumeuses. Ceci permet beaucoup de suggestion, même si parfois on se demande ce qui guide les personnages (l'appât du gain OK, mais pourquoi le héros qui a compris dès le départ que qq chose allait mal tourner retourne-t-il jeter un oeil à la tombe ?).
Malgré ces (petits) défauts, on passe un très bon moment.

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