EVANGELION 1.0
Reconstruction rime souvent avec pognon
Une catastrophe d’une ampleur sans précédent s’est abattue sur notre planète, pulvérisant la moitié de la population. Après cet événement terrible que le monde retiendra sous le nom de « Second impact », et tandis que les survivants réapprennent à vivre, le jeune Shinji Ikari est convoqué dans la ville-forteresse de Tokyo-3 par son père. Au même moment, une créature géante, un « Ange », apparaît sur la ville ; Shinji, arrivant au quartier général de l’organisation NERV, découvre que son père l’a fait venir pour piloter un robot humanoïde géant, l’Eva…
Une entreprise de « reconstruction » : c’est ainsi que, selon le dossier de presse, Hideako Anno explique son envie de reprendre la série animée à grand succès qu’il créa dans les années quatre-vingt-dix et qui fit les beaux jours du studio Gainax, pour en réaliser un remake sous la forme d’une trilogie. Une entreprise qui interpelle évidemment tous les fans de cette saga d’anticipation, forte d’une intensité et d’une densité narrative inédites à l’époque, qui seront sans doute curieux de découvrir, sur grand écran, une version améliorée d’ « Evangelion ».
N’empêche, c’est un projet qui sent bon l’opportunisme : après l’échec d’un projet d’adaptation de manga, Anno avait quitté brusquement Gainax pour aller traîner du côté du grand concurrent Ghibli, maison-mère des deux patriarches de l’animation japonaise que sont Miyazaki et Takahata, mais n’a jamais retrouvé le même succès. Retourner à « Evangelion », cela signifiait sans doute renouer avec un public quelque peu oublieux. Et le prétexte, très « Lucasien » dans l’idée, était tout chaud : au vu de l’amélioration conséquente des techniques d’animation, il était temps de réaliser une nouvelle version d’une série, il est vrai, très cinématographique dans l’âme, d’autant que les diverses conclusions de la saga avaient laissé les fans le bec dans l’eau. Voilà comment on appuie consciencieusement sur le bouton « Repeat » de la grande machine à sous de l’industrie du film.
Ceci étant dit, ce premier volet de trois films voués à reconstruire « Evangelion » se regarde avec ce plaisir intimiste du geek qui jouit de pouvoir retrouver, sur grand écran, des personnages et des situations qu’il a suivis à la baguette durant des mois. Plus qu’un banal dessin animé pour ados, Anno avait créé, avec « Evangelion », un véritable phénomène artistique porté par une fascination sans précédent du public, fascination liée à la grande richesse visuelle, narrative et thématique de la série.
Imparfait dans sa forme, constamment en équilibre entre la beauté de l’animation traditionnelle et une certaine artificialité des images de synthèse (qui, ici, ne sont clairement pas à leur place), le film « Evangelion » parvient malgré tout à synthétiser les lignes de force majeures de la série, mais sans éviter le piège de l’accumulation brutale d’informations : cette intrigue très alambiquée souffre évidemment d’un portage à un format temporel réduit, là où vingt-six épisodes et deux longs-métrages peinaient déjà à éclaircir la grappe affolante de mystères développée, avec une certaine ironie herméneutique, par Anno.
Il semblerait donc bien, pour le dire autrement, que le spectateur moyen – c’est-à-dire non aficionado – n’entende rien à ce charabia de symboles, d’acronymes et de discussions feutrées qui disent tout en n’apprenant rien. Reste, pour les fans, un excellent plaisir de révision doublé d’une refonte totale de certains designs, et, pour les profanes, des combats d’une grande intensité et une sensibilité à fleur de peau capable de toucher même les plus réfractaires.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur