ÊTRE VIVANT ET LE SAVOIR
Une répétition
Emmanuèle Bernheim et Alain Cavalier sont amis depuis plus de trente ans. Un jour, il lui propose de faire l’adaptation de son roman autobiographique Tout s’est bien passé dans lequel elle tiendrait son propre rôle et, lui, deviendrait son père qui lui a demandé de l’aider à en finir…
"Être vivant et le savoir" est un film bouleversant où le réalisateur s’y dévoile comme il l’a rarement fait. Si en général c’est sa voix seule qui nous accompagne, ici il a apparaît à l’écran et surtout, il parle, il s’adresse à un spectateur en devenir, en plus des personnes qui l’entoure et qu’il filme. Tout ce qui se passe à l’écran est issu du journal quotidien d’Alain Cavalier. Ainsi, rien n’est écrit ou préparé, se sont ses réflexions de l’instant, les merveilles de la réalité, les moments suspendus qu’il est le seul à voir, mais qu’il parvient à saisir dans leur évanescence.
Le film s’ouvre sur une mort, une mort assistée et une bougie qui s’allume, mais qui est surexposée. Le vieux réalisateur jure et règle le diaphragme, puis se demande si son amie est partie en même temps qu’il a allumé la bougie. Alain Cavalier fait un film d’un film qui ne s’est pas fait. Ce n’est pas un montage de scènes qu’il aurait commencées à tourner, ce n’est pas non plus un documentaire comme "Lost in la Mancha" sur un film avorté, c’est le rassemblement, la mise au présent de ce qui a été.
Plus que sur Emmanuèle Bernheim, ce film est sur Cavalier lui-même, qui se livre sans le vouloir, sans savoir au moment où il capture ces images qu’elles vont être un film. Il est complètement naturel quand il filme son travail, avec des courges et des patates douces qu’il laisse vivre dans son atelier et dont il observe les différents stades avant de les inclure dans ses compositions photographiques.
Ces compositions sont saisissantes, car au fur et à mesure du temps passé avec le réalisateur, son regard commence à nous contaminer et, pour nous aussi, cette armée de légumes immobiles se dote de vie. Une vierge apparaît dans une courge ratatinée entre le Christ sans bras et celui en plastique coloré.
Enfin, dans une séquence très troublante, de répétition sur la mort, le réalisateur allongé sur un lit, en un souffle, cesse de respirer, pendant un très très long moment. Point culminant de l’émotion du film, les quelques mots qu’il prononce, quand il revient à lui, rassemblent toute la poésie de la réalité que porte son cinéma.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur