ENTRE LES LIGNES
Dans de beaux draps…
Printemps 1924. Jane, jeune domestique au sein d’une famille anglaise endeuillée, devient la maîtresse d’un jeune homme de la haute bourgeoisie, fils des voisins de ses patrons. Des années plus tard, devenue écrivaine, Jane se remémore ce jour de fête des mères où pendant que les propriétaires partaient à un pique-nique, elle retrouvait secrètement cet amant…
Après sa première sélection cannoise avec "Les Filles du soleil" en 2018, Eva Husson avait à nouveau pu fouler le tapis rouge en 2021 avec ce film qui s’est fait attendre, "Mothering Sunday", et qui a finalement trouvé une date de sortie dans nos salles de cinéma françaises sous le titre "Entre les lignes". On peut toujours être étonné d’un tel choix de distribution des années plus tard, surtout avec si peu de promotion autour. Et ce malgré la présence au générique des belles têtes d’affiche que sont Olivia Colman et Colin Firth. Mais, bien que l’eau ait coulé sous les ponts depuis mai 2021, on se remémore que le long-métrage d’Eva Husson n’avait pas laissé un souvenir impérissable lors de sa présentation sur la Croisette.
On est en effet assez loin de la promesse d’un film passionné et passionnant à l’ambiance façon "Downton Abbey". La réalisatrice filme sans grands effets et sans grande ambition une histoire d'amour entre une bonne et un jeune de la haute, lui-même promis à une autre femme de son rang. Cette adaptation littéraire ne nous emportera pas bien loin. Certes, elle sait sublimer les corps arrivant à faire transpirer l'érotisme d’une relation ténébreuse entre deux amoureux qui bravent les interdits d’une société organisée en classes. Eva Husson maîtrise en effet les scènes de l'intime où elle montre frontalement la nudité de ses protagonistes, les peaux lisses baignées de lumière, les intégrant dans des cadres d'une grande beauté. Il faut dire que dans son premier long "Bang Gang (une histoire d'amour moderne)", elle explorait déjà la sexualité et les relations amoureuses chez les adolescents. Ici, les jeunes comédiens Josh O’Connor ("Seule la terre") et Odessa Young ("Assassination Nation"), encore peu vus à l'écran, marquent les esprits par leur grande spontanéité de jeu.
Mais quand on quitte les tourtereaux, on n’est jamais emporté par le reste de l’histoire, ni à table où trois familles bourgeoises déjeunent dans un élégant jardin anglais, ni entre passé et présent sur les traces mémorielles d’une écrivaine qui cherche à se souvenir d’une relation peut-être fantasmée. Eva Husson est loin d’être à la hauteur d’une Jane Campion qui livre des films aussi puissants que poignants, comme "La Leçon de Piano" ou "Bright star". "Entre les lignes" aura sur nous le même effet qu’un long repas familial dominical qui s’étire en longueurs. Heureusement, entre deux bâillements, et quand on n’est pas entre les beaux draps des jeunes amants baignés de lumière, la géniale Olivia Colman, cynique à souhait en mère meurtrie par la disparition de son fils unique, est là pour nous maintenir éveillés.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur