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END OF WATCH

Un film de David Ayer

Pour service rendu

Deux jeunes officiers de police, Brian Taylor et Mike Zavala, filment leurs interventions quotidiennes dans le quartier le plus chaud de Los Angeles, à South Central. Entre courses-poursuites, découvertes macabres et menaces de mort, les deux compères puisent dans leur vie de famille une compensation à la misère de chaque jour…

« End of Watch », c’est un peu le « Cloverfield » de la police américaine, le « Paranormal Activity » des activités criminelles, le « REC » plus ultra de la flicaille au quotidien. Los Angeles en est le décor et les flics les héros malheureux. Leur travail est notre hantise, leur banalité notre exception, la violence, la haine et la mort en sont les marqueurs. On y suit deux officiers qui, caméra à l’épaule, filment leurs interventions dans les rues chaudes de South Central, quartier difficile de la Cité des Anges. Le nom du quartier a beau avoir été changé en 2003 pour South Los Angeles, dans le but de couper le cordon ombilical avec une appellation synonyme de violence et de crimes, comme lors des émeutes de 1992, les habitants préfèrent continuer à dire « South Central ». Une façon, sans doute, de réaffirmer leur identité contre les volontés louables de l’administration municipale, ou une manière de souligner leur détermination à se battre contre la violence endogène pour transformer leur Enfer en Paradis. C’est précisément ce à quoi nous assistons pendant la projection d’ « End of Watch » : le travail patient et résolu de ces hommes et de ces femmes qui, chaque jour, se battent pour empêcher leur territoire de devenir le royaume d’Hadès. Pour autant, ils ne se montrent pas naïfs : déloger le mal ne s’étant jamais fait avec des couronnes de fleurs, il vaut mieux avoir de bons calibres et un efficace gilet pare-balles.

David Ayer est à la fois scénariste et réalisateur de son film. Ayant lui-même grandi dans South Central, il a tenu à raconter les choses avec le plus de sincérité possible, d’où son idée d’harnacher ses deux comédiens principaux – Jake Gyllenhaal et Michael Peña, touchants mais un poil fatigants – avec des caméras portatives pour puiser dans le style « reportage ». Chaque séquence a ainsi été filmée à l’aide de quatre caméras différentes, toutes portées à l’épaule, ce qui donne lieu à d’impressionnantes courses-poursuites à la manière de ces vidéos de la police américaine que l’on trouve à foison sur les avatars de Youtube. Pour ceux qui ont un peu de mémoire, le nom de David Ayer ne doit pas sembler étranger : on lui doit déjà un scénario de film policier se déroulant dans ce quartier de Los Angeles, mis en scène par Antoine Fuqua, « Training Day », ainsi que la réalisation de deux longs-métrages, « Bad Times » (lui aussi situé à South Central) et « Au bout de la nuit », énorme ratage malgré un scénario de James Ellroy – naufrage que l’on peut reprocher au jeu peu subtil de Keanu Reeves et Forest Whitaker.

Ayer raconte qu’il voulait décrire la vie de deux officiers de police de Los Angeles en se débarrassant des stéréotypes hollywoodiens. C’est une manière polie de nous expliquer que la plupart des films policiers produits depuis des décennies offrent une vision déformée du travail des officiers au quotidien, et une façon adroite d’affirmer que lui-même est seul capable de mettre en scène avec réalisme un pan de la vie risquée de ces hommes et femmes. Il faut se montrer à la hauteur de telles déclarations. Il faut avoir les capacités de faire mieux qu’Hollywood n’ait jamais fait, malgré le talent de ses réalisateurs, scénaristes, acteurs et comédiens. Il faut faire preuve d’un orgueil démesuré ou d’une confiance en soi extraordinaire pour pouvoir décréter qu’on s’apprête à révolutionner une certaine manière de raconter une histoire, pourtant bien connue, voire mille fois vue.

Pourtant, la seule chose qui distingue « End of Watch » de ses congénères réside dans le style de mise en scène, héritier de toute une décennie de longs-métrages « caméra à l’épaule », et aidé par la belle photographie de Roman Vasyanov. Pour ce qui est du récit lui-même, on constate que les choix narratifs de David Ayer renvoient à tous les poncifs hollywoodiens qu’il avait l’ambition de fuir : alternance entre scènes d’action et séquences intimes en famille, mise en rapport de la violence du quotidien et de l’émotion domestique, dramatisation de l’existence des personnages principaux, digressions sur les méchants (étrangement, les vilains Sud-Américains qui en veulent à nos héros s’amusent aussi à se filmer dans leur voiture, idée ridicule et absolument pas crédible), etc. Contrairement aux affirmations prétentieuses de David Ayer, « End of Watch » est édifié autour d’une structure narrative parfaitement hollywoodienne, comme en témoigne un épilogue inopportun qui revient sur la dernière journée de Brian et Mike avant le drame qui, inévitablement, leur tombera dessus.

On pense un peu à la conclusion de « Cloverfield », quand un extrait de la bande vidéo ancienne surgit après la fin de la nouvelle, montrant le couple qui vit une dernière journée de bonheur avant la tragédie du présent. Mais, référence assumée ou pas au film de Matt Reeves, Ayer passe complètement à côté de cette séquence, totalement saugrenue et à la limite de l’absurde, allant même à l’encontre du projet de mise en scène : comment peut-on, à la fois, suivre deux personnages dans une progression chronologique et assister à un rembobinage final ? Car cette progression chronologique, symbolisée, dès les premières secondes, par une longue course-poursuite entre la voiture de Brian et Mike et le véhicule de criminels déterminés, course-poursuite qui construit pour les héros une trajectoire inéluctable menant d’un point à un autre, de la vie à la mort, concrétise cette trajectoire que l’on retrouve telle quelle dans la dernière partie lorsque nos deux policiers se font piéger en conclusion d’une autre poursuite. Qu’y a-t-il de plus hollywoodien qu’une narration en orbite elliptique ?

Le problème d’ « End of Watch », toutefois, ne réside pas dans le truisme narratif. L’alternance de violence et de séquences intimes est plutôt réussie, bien qu’on se pose régulièrement des questions sur l’intérêt de certaines scènes et la disparition brutale de personnages, et que l’on s’interroge à plusieurs reprises sur la légitimité d’un langage fleuri qui contient plus de « fuck » que n’importe quel autre mot de la langue anglaise. Non, le souci, c’est la mise en scène. Elle est proprement insupportable – à la limite, souvent, du regardable. Le style du reportage filmé n’est pas le Graal de la production cinématographique, loin de là – et il serait temps que les cinéastes qui s’y intéressent s’en rendent compte une bonne fois pour toutes.

La caméra portée interdit toute construction cohérente du cadre, tout travail de positionnement dans l’espace. En-dehors des courses-poursuites et des « explorations » de maisons et de ruelles suspectes, les scènes d’action sont bâties dans le flou et leur filmage chaotique donne la nausée. Ce genre de cinématographie réussit là où l’affect prend le pas sur la narration – typiquement « REC » ou « Le Projet Blair Witch » – mais, on l’a vu, « End of Watch » ne s’affranchit pas du récit traditionnel hollywoodien, ni ne joue avec ses codes. C’est donc un film hybride que nous propose David Ayer, entre chronique d’une vie policière et projection d’une réalité fantasmée, partagée entre bien et mal, entre brutalité (dehors) et douceur (au sein du foyer). À aucun moment il ne parvient à nous faire oublier que le cinéma, entre tous, est un media qui nous ment, quand bien même il chercherait à exprimer une vérité. Cette fenêtre ouverte sur la violence de la réalité à Los Angeles est donc, autant que d’autres, le dessin d’un réalisme déséquilibré, contredit par son propre mode d’expression.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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