EN CORPS
Encore !
A déjà 26 ans, Élise voit soudain sa carrière de danse classique se briser d’un coup sec à la suite d’une blessure pendant un spectacle. Désireuse de se réparer, elle va peu à peu se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine, à travers laquelle une nouvelle façon d’exprimer la danse va lui permettre de tracer le début d’une nouvelle vie…
Dès les premières minutes, on décolle du sol. Le temps d’un quart d’heure inaugural à base d’allers-retours entre un spectacle de l’Opéra de Paris et ses coulisses, tout laisse à penser que le cinéma de Cédric Klapisch entame une mue infrasensible. Celui qui avait su tant peindre le bazar sociétal et les sentiments de la jeune génération n’a au fond rien perdu de son style composite, mais la manière de procéder apparaît alors comme différente. Les montages déstructurés et les effets de style narratifs qui ont fait sa patte laissent ici la place à une grammaire de plans éblouissants, entièrement musicaux, qui relèguent les mots dans les recoins les plus enfouis de la bande-son, histoire de mieux se focaliser sur le cœur du sujet : le corps en attente, en mouvement et en tension. Fort d’une confiance rare dans la force symbolique de ses images et de son découpage, Klapisch multiplie alors les perspectives et les échelles de plan en un pur kaléidoscope émotionnel, achevé par un générique de début où les beats de techno accompagnent les mouvements de danseuses classiques au ralenti. Le film vient à peine de commencer, et il semble déjà tellement à son sommet que l’on craint vite de le voir redescendre. En vérité, ce n’est là que la rampe de lancement idéale pour un feel-good-movie de premier choix.
Reconnaissons d’entrée que le scénario d’"En corps" n’avait a priori pas grand-chose pour nous motiver à rentrer dans la danse. Entre un enjeu archétypal de sitcom AB (une danseuse classique se blesse en plein spectacle après avoir vu son mec coucher avec une autre), des scènes de danse intenses qui frisent d’entrée le format pocket de "Black Swan" et des velléités sentimentales dignes d’un épisode de la série "Un, Dos, Tres", on pouvait même raisonnablement craindre le pire, et ce quel que soit le degré choisi pour driver la trame narrative. C’était oublier que chez Klapisch, la gravité d’un sujet reste systématiquement soumise au même principe de légèreté, et que le genre le plus stéréotypé qui soit peut se voir redéfini par un regard frais et un ton décalé. En s’autorisant ici une incursion dans un univers a priori aux antipodes de sa sensibilité (le monde de la danse, classique ou contemporaine), le réalisateur de "L’Auberge espagnole" sait très bien sur quoi va se focaliser son regard : un corps affaibli et fragile en tant que conséquence d’un esprit fragilisé par le doute et rongé par le trauma. La transcendance du sujet et de l’esprit passe donc ici par celle du corps lui-même, en mouvement progressif et perpétuel, poussé par son approche purement émotionnelle de l’espace et de l’Autre. Le tout via un découpage et une mise en scène qui font en sorte que chaque scène se veuille un coup de boost supplémentaire. De fortes vibrations, tantôt hilarantes tantôt déchirantes : le film ne s’intéresse qu’à ça. Et en matière de cinéma, c’est déjà énorme.
Fidèle à sa tradition d’un cinéma modelé par les interactions sociales et les caractères bigarrés, Klapisch mise une fois de plus ses jetons sur un casting aux petits oignons. Autour de la jeune et solaire Marion Barbeau (magnifique révélation issue de l’Opéra de Paris qui fait ici ses débuts au cinéma) gravitent ainsi une multitude de planètes tour à tour autonomes et fusionnelles qui mettent un point d’honneur à déglinguer leurs orbites respectives. Le cercle familial, d’abord : pour deux sœurs compréhensives et attentionnées, on a droit à un père intello et peu attentif dont la moindre digression pédante – Denis Podalydès n’est visiblement pas revenu intact de son passage chez Arnaud Desplechin – amplifie la motivation de l’héroïne à réparer quelque chose de « cassé » (la famille est ici un autre corps fragilisé). Le cercle d’amis, ensuite : pour un François Civil qui fait rimer spiritualité avec naïveté, on passe ici son temps à s’engueuler d’abord et à baiser ensuite, via un Pio Marmaï qui n’en rate jamais une pour transformer le moindre rapport de force en réservoir à fous rires et une Souheila Yacoub ("Climax") qui semble bien partie pour devenir la nouvelle Béatrice Dalle (même look, même sex-appeal, même franc-parler). Le cercle de la danse, enfin : sous la houlette d’une proprio handicapée (Muriel Robin, parfaite) qui joue les oracles bienveillants, la compagnie de danse contemporaine s’impose en galerie d’agités vibrants et vivants là où le milieu classique frisait le défilé de poupées de cire désincarnées – voir la scène du shooting photo où le malaise tangible se change très vite en rébellion libératrice.
Tout ceci, allié à des choix de montage ouvertement déconcertants (voir cette mise en parallèle des danseurs qui font trembler le sol et des légumes que l’on découpe en rondelles !) et à des cadres naturels à tomber par terre (merci la Bretagne), donne chair à une bulle d’entraide et de singularité, à un cocon aussi léger que chaleureux, où la règle consiste à épouser le mouvement du groupe et à s’en imprégner pour s’élever soi-même. Pourquoi fallait-il qu’en ces circonstances bénies, Klapisch ripe quelque peu sur l’écriture de ses dialogues ? Alors qu’un tel propos sur le corps en reconstruction et en transcendance était voué à laisser le corps parler à la place du verbe, le voir placer de temps en temps dans la bouche de ses acteurs des répliques illustratives et pontifiantes qui paraphrasent lourdement ce que l’image exprime déjà parfaitement est un vrai générateur de grimaces. Comme s’il fallait malgré tout livrer un propos clés en main au lieu de laisser le spectacle exprimer de façon sensitive ce qui constitue sa moelle épinière. Une petite faute de goût qui, fort heureusement, ne fragilise pas la portée vibrante et libératrice de ce nouveau film, clairement l’un des plus attachants et des plus aboutis de son auteur, et que l’on a tout de suite envie de revoir lorsqu’il s’achève. Mouvement continu, encore et en corps.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
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COMMENTAIRES
lundi 6 juin - 2h09
bouleversant
AMANDE
mardi 26 avril - 8h37
FILM PARTICULIEREMENT TOUCHANT; ON RESSORT DE LA SEANCE DIFFICILEMENT TELLEMENT NOUS SOMMES PRISES ET BOULEVERSEES PAR CE BEAU FILM
Mararnejo
mardi 26 avril - 8h36
Je rentre de ce film émerveillée.
Il est plein d'émotions, la musique est extra. Le côté chaleureux des groupes, leur entraide etc ... en font un film extraordinaire sur le plan humain.
Merci au réalisateur.