EL REINO
Mira y piensa
Homme d’affaires influent dans sa région ibérique, Manuel Lopez-Vidal est destiné à atteindre les plus hautes sphères de son parti. Jusqu’au jour où il se retrouve pris au piège d’une affaire de corruption qui l’implique lui et l’un de ses amis les plus proches. C’est le début d’un engrenage infernal…
Si ça continue comme ça, il n’y aura bientôt plus que de l’autre côté des Pyrénées que l’on pourra se manger de la puta madre de pelicula à des intervalles aussi réguliers et surtout aussi réduits. On ne sait pas trop à quoi carburent nos voisins ibériques, mais on reste de plus en plus baba devant une telle aptitude à investir les genres sans essayer de s’y plier, à les transcender par une croyance folle dans le pouvoir de la mise en scène, à tenir son spectateur par les cojones pour ne jamais les lâcher, et surtout, au final, à récolter à juste titre une avalanche de Goyas (sept pour ce film-là !) là où nos Césars n’en finissent pas de passer sous silence l’audace au profit du conformisme laborieux.
Et sur la base d’un genre ultra-populaire et célébré depuis des années par de nombreux courants du 7ème Art (à savoir le thriller politique à tendance réquisitoire), le jeune cinéaste Rodrigo Sorogoyen – déjà porté au pinacle pour le brillant "Que Dios nos perdone" – met à l’amende tous ses concurrents en un seul film, déballant plein cadre une réalisation au-delà du génie, où chaque plan, chaque cadre, chaque plan-séquence, chaque dialogue-mitraillette, chaque effet de montage et chaque intention de la bande-son sont au service d’une vraie idée, d’un vrai propos et d’un vrai point de vue. Bref, le cinéma construit comme art de l’évidence traduite par la rythmique, et qui, par cette dernière, se met au diapason d’une vision puissamment évocatrice du monde et de notre rapport à lui.
Soyons directs : "El Reino" est un film devant lequel on se surprend parfois à ne plus pouvoir respirer, à sentir que la sauce monte sans être capable de la faire redescendre, et face à un plan final qui tombe comme un couperet en nous laissant sur une interrogation capitale, à s’être soudain réveillé après avoir nagé dans une étrange torpeur. Lancé sur les traces d’un politicien corrompu qui dépense toutes ses forces à s’extraire d’un scandale qui menace sa carrière et à se retourner contre son propre parti politique désireux de le sacrifier médiatiquement, le film se résume à une intense course-poursuite de 2h11, tant physique que psychologique, sans bout de gras ni seconde de relâche, à peu près aussi speedée que celle d’un jeune technocrate aux dents longues conscient de n’avoir qu’un temps ultra-réduit pour finaliser une acquisition de stock-options.
La méthode imparable de Sorogoyen n’a rien de surprenant : une caméra en mouvement qui hésite entre le plan fixe posé (un échange à clarifier) et le plan-séquence nerveux (une situation vectrice de stress), des acteurs démentiels qui habitent leurs rôles avec une aisance déconcertante (film après film, Antonio de la Torre continue de mériter une surdose de superlatifs), et une bande-son techno pulsative à souhait qui cale le rythme cardiaque du spectateur sur celui d’un protagoniste tendu jusqu’au vertige. Le tout avec une volonté d’intensifier le stress des enjeux – qui plus est sur un personnage qui suscite tantôt le dégoût tantôt la sympathie – par un récit imprévisible, usant dans sa dernière demi-heure des codes du pur thriller spectaculaire pour mettre en exergue le chaos du particulier qui se propage à l’échelle globale.
Et sur le fond, donc ? Clairement pas du thriller préfabriqué et confortable qui cautionnerait la théorie fallacieuse du « tous pourris » (celle que nos gilets jaunes entretiennent avec une sacrée bêtise), mais un pamphlet à la portée infiniment plus vaste, qui désintègre littéralement la notion de « secret de polichinelle » afin d’autopsier un système qui se suicide lentement à force de ne jamais pouvoir – ou oser – faire son auto-analyse. Le « royaume » souligné par le titre du film ne vise pas ici une caste et ses idées, mais bel et bien cette isolation de toutes les strates sociales au cœur d’un même système. Entre des costards-cravate chorizos qui se servent de la politique pour alimenter leur orgueil et une idiocratie médiatique qui vise l’esquive des sujets essentiels pour servir son propre manège, c’est le déni et l’aveuglement à l’échelle macro qui est ici au centre du viseur.
Entendre à un moment donné dans le film que « le pouvoir sert le pouvoir » est une chose, mais trouver une réponse simple à la question finale posée par le film en est une autre. Sorogoyen met son audience dans le même panier de crabes que son protagoniste, interpellant l’une et l’autre sur leur sens des responsabilités, mais sans morale préfabriquée, sans paraphrase qui appuierait l’intention au marteau-piqueur, et surtout sans cette indignation facile qui persiste à saloper tout début de réflexion dans un certain cinéma d’auteur, le nôtre en particulier. En combinant la puissance contestataire d’un Sidney Lumet à la scénographie démentielle d’un Alfonso Cuaron, "El Reino" touche au génie pur en magnifiant plus que jamais une idée maîtresse : les très grands films sont ceux qui frappent par leur évidence.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
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COMMENTAIRES
Melissa M.
mercredi 10 juillet - 6h33
100% d'accord avec tout ce qui vient d'être dit! Rien à ajouter!