EL PROFESOR
Portrait aiguisé et potache d'une Argentine meurtrie
Suite au décès soudain du doyen de la faculté de littérature de Buenos Aires, Marcelo, discret professeur de philosophie, est tout désigné pour reprendre la chaire devenue vacante. Malheureusement, Rafael, son ancien copain de fac exubérant exilé à Berlin, rentre au pays pour candidater lui aussi à ce poste…
Avec son look passe-partout, sa nuque longue et son crâne dégarni, Marcelo est l’incarnation de l’anti héros maladroit. Confronté, malgré lui, à l’ego flamboyant de Rafael son rival, el profesor tente vainement de prendre le dessus, mais son manque inné de charisme tourne en ridicule toutes ses tentatives. Témoin fataliste de sa rancune, il est aussi spectateur passif de la dérive de son pays où tout se paye en dollars et où on baisse le rideau métallique sur des manifestants roués de coups pour ne pas déranger les clients du restaurant où ils tentent de chercher refuge…
Ces instantanés faussement futiles, révèlent une Argentine rongée par une crise économique sans précédent, situation qui depuis, a fait sombrer le pays dans l’extrême droite de Javier Milei. Ils marquent à quel point il y a à présent un gouffre entre les classes, avec des fonctionnaires qui ne reçoivent plus de salaire et sont obligés de faire des petits boulots d’appoint chez les ultra-riches. Comme Marcelo, qui pour payer son loyer, donne des cours de philosophie à une vieille dame bourgeoise aussi passionnée que somnolente.
Une situation absurde, irrésistiblement drôle car si Maria Alché et Benjamin Naishtat dénoncent, ils le font avec un humour décalé qui vous cueille sans prévenir. "El profesor" s’affirme alors comme un film aux multiples facettes, qui gravite autour de son personnage ô combien attachant. Rôle porté à l’écran par le très bon Marcelo Subiotto, qui excelle en enseignant qui cite avec aisance tout Rousseau et Heidegger mais s’efface devant la moindre adversité.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur