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EL ESTUDIANTE

Un film de Santiago Mitre

Une jeunesse « désargentine »

Éternel étudiant de trente ans, Roque erre dans les couloirs de l’Université de Buenos Aires et passe son temps à flirter. Sa rencontre avec Paula, jeune enseignante qui milite dans un parti étudiant, l’initie aux stratégies de la politique universitaire dont il va rapidement grimper les échelons…

Il faut sauter directement à la fin du film pour découvrir la morale qui le sous-tend. Dans le bureau du nouveau recteur de l’Université de Buenos Aires, le jeune Roque (Esteban Lamothe), notre héros, reçoit une leçon. Son interlocuteur lui raconte l’histoire d’un indigène découvert dans la jungle qui aurait atteint un âge impossible de cent cinquante ans. Au journaliste qui lui demande les secrets de sa longévité, le doyen répond : « C’est tout simple, je n’ai jamais contredit personne de ma vie ». Son auditeur s’en étonne, affirmant que « c’est tout à fait impossible ». Le vieil homme réfléchit et finit par rétorquer : « Vous avez raison, c’est impossible ».

« El estudiante » ne relate pas seulement le meilleur parcours politique possible à travers les yeux de Roque, étudiant en quête d’une place dans la société argentine. C’est aussi le récit d’un apprentissage existentiel : comment sortir de la masse ? Comment devenir quelqu’un au regard de tous les autres ? Roque n’est personne : il est une figure indécise, une silhouette qui erre dans les couloirs maculés d’affiches politiques d’une université en état de délabrement physique et moral. Venu d’une banlieue de Buenos Aires, il reprend des études pour la troisième fois – il a étudié l’art, l’économie, et se lance désormais dans les sciences sociales. Au-delà des murs de la fac se perçoit un monde en sourdine, qui pénètre d’abord dans l’histoire au rythme des sorties dans les bars et des déambulations nocturnes de ces jeunes adultes en pleine initiation. La vie se déroule comme dans un film, sans se soucier des conséquences. Roque est comme ça. Jusqu’à ce qu’il rencontre Paula, activiste farouche et militante du mouvement étudiant Brecha, et qu’il se découvre, à travers elle, un engouement nouveau pour la politique et ses stratagèmes.

Le film débute sur le dos de Roque tandis qu’il déambule entre les salles de cours de l’université, et se termine sur un plan fixe de son visage lorsqu’il rejette, avec une conviction inédite, la proposition de poste faite par le nouveau recteur. Allant de la nuque (côté face) aux yeux du personnage (côté pile), d’une silhouette indistincte à une identité réelle, « El estudiante » esquisse, à travers l’évolution de son protagoniste, le schéma d’un parcours initiatique au sein des mouvements politiques étudiants et de la société argentine des années Kirchner. Avec, en point d’orgue, une prise de conscience éthique pour le personnage principal qui, durant l’essentiel du temps de la diégèse, papillonne de fleur en fleur (du sexe opposé aux postes politiques) au gré de ses rencontres. Avec pour seule conviction, au départ, la présence d’une femme.

Santiago Mitre, qui tourne là son premier long-métrage, édifie son œuvre avec intelligence et subtilité. « El estudiante » est un film long, bavard et dénué de projet esthétique ; une voix off désagréable vient de temps à autres fournir des précisions sur les événements ou les changements dans le caractère de Roque, venant alourdir inutilement le récit ; et les multiples tours et détours du scénario, entre références à l’histoire politique argentine du XXe siècle et démonstrations stratégiques au sein des mouvements étudiants, pourraient laisser quelques spectateurs en arrière. Ce serait dommage. Car Mitre puise dans un vaste champ référentiel qui va du style documentaire, avec une caméra portée à l’épaule, au cinéma militant, tourné avec trois francs six sous, en passant par une stimulante mise en relief des paradigmes politiques. Citer Machiavel et Rousseau n’a rien de gratuit dans un film qui, non content de se poser comme une œuvre militante, a été produit et tourné de façon quasiment clandestine : production menée par la propre société de Mitre, 30 000 dollars de budget, absence de subventions de l’État, aide bienvenue de l’Université de Buenos Aires et des mouvements étudiants, prises de vues sauvages dans les couloirs de la fac, tournage étalé sur sept mois au gré des disponibilités des comédiens et des locaux… Voilà une œuvre dont la forme et la genèse font efficacement écho à ses thématiques. Et tant pis si des scories viennent alourdir le propos ou gêner en partie la démonstration.

En fin de parcours, Santiago Mitre choisit de conduire son récit vers une conclusion optimiste. En donnant un visage à son héros, celui-là même qui nous était dissimulé dans les premiers plans, et en lui offrant l’opportunité de faire un choix moral (un « non » franc et honnête, l’un des rares « non » qu’il aura prononcé jusque là), le réalisateur lui octroie aussi, in fine, une âme qui semblait lui faire défaut. C’est en cette âme – celle, au-delà de Roque, de toute l’Argentine – que veut croire Mitre. Si la politique est affaire de mots, le plus important aura bien été le dernier de tous.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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