EFFACER L'HISTORIQUE
Un délicieux trio de révoltés, face à un système dévoyé
Trois voisins, vivant dans un lotissement dans le nord de la France, se retrouvent aux prises avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Ensemble, ils décident de se rebeller face aux géants de l’internet…
Dix ans après l’inégal "Mammuth", Gustave Kervern et Benoît Delepine ont fait un retour fracassant au Festival de Berlin 2020, repartant avec un fort mérité Ours d’argent, sorte de prix spécial du jury. Centré sur les personnages de trois voisins, Français moyens galérant pour diverses raisons dans leur pavillon, le film propose en effet une vision acerbe d’une société soumise aux dictats et aux faux rêves véhiculés par l’internet et les géants de la communication ou de la data auxquels ils ne peuvent échapper.
Les trois portraits, construits par petites tranches de vies, se croisant au fils d’une histoire qui prendra forme sur le tard, mêlent humour pince sans rire et vision pathétique du quotidien, ceci avec un sens aigu de la dérision. Marie se laisse aller à boire et cherche un cadeau pour son fils. Bertrand se sent seul au point de dragouiller les opératrices de télémarketing qui l’appellent. Quant à Christine, cherche par tous les moyens à faire remonter sa note de chauffeur VTC. Leurs points communs : faire face à de nombreuses difficultés (argent, séparation, fille harcelée...) sans forcément l’avoir dévoilé aux autres, et tenter de conserver un minimum de dignité.
Le trio d’interprètes (Corinne Masiero, Denis Podalydès et Blanche Gardin) fonctionne à merveille, composant des personnages aussi maladroits que touchants. Mais les auteurs ont su également concocter de nombreux petits rôles croustillants, faisant de l’apparition de chaque tête connue un délice (mention spéciale à Philippe Rebbot et Michel Houellebecq !). Leurs interactions permettront à chacun de se reconnaître dans de petits détails qui font le sel de cette comédie et montrent à quel point elle capte l’air du temps et les déviances de l’époque : publicités honteusement mensongères, exploitation du client, multiplication des chargeurs, obsolescence programmée, report des responsabilités sur les employés, mais aussi tous les thèmes qu’a aussi mis en évidence le mouvement des gilets jaunes.
Si le film manque en apparence un peu de liant, il aborde avec aisance toutes les facettes du « tout data » ainsi que les conséquences quotidiennes de la surconsommation. Adoptant un ton à la fois désabusé et absurde, qui rend ses personnages encore plus attachants dans leur incapacité à bien faire, face à un système qui exploite leur moindre faille jusqu’à l’épuisement, la comédie emprunte dans sa dernière partie, un chemin proche de celui de "Louise-Michel", chef d’œuvre contestataire des deux mêmes auteurs. Une comédie douce amère, qui souligne toute l’absurdité d’un système, dont la compétence des dirigeants peut ou doit être questionnée en permanence, face à la logique du profit à tout prix.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur