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EAUX PROFONDES

Un film de Adrian Lyne

Contre-proposition indécente

En raison d’un mariage désastreux qui les contraint à une vie sans amour, Victor et Melinda Van Allen s’autorisent l’un l’autre à prendre d’autres amants, histoire d’épicer les choses. Mais peu à peu, le jeu commence à se noircir, car les amants de Melinda se mettent à mourir l’un après l’autre. Victor a-t-il quelque chose à voir là-dedans ?

Eaux profondes film movie

Sortie le 18 mars 2022 sur Amazon Prime Video

Vous déplorez depuis trop longtemps que le thriller érotique 90’s ne puisse pas faire un come-back digne de ce nom ? Vous vous languissez de cette époque bénie où le cinoche US avait encore des couilles et pas une ceinture de chasteté sponsorisée par les comités de censure bien-pensants ? Vous vous disiez qu’Adrian Lyne était peut-être le mieux placé pour relancer la machine, lui qui avait autrefois donné ses lettres de noblesse au genre avec "Liaison fatale", "Proposition indécente" et "9 semaines ½" ? Vous êtes trop mignons… Ressortir le cinéaste grabataire du caisson cryogénique dans lequel il végétait depuis son remake chabrolien d’il y a vingt ans ("Infidèle") n’était assurément pas l’idée du siècle, tant ces "Eaux profondes", particulièrement attendues depuis deux ans, sont à l’opposé de ce à quoi le bonhomme nous avait habitué jadis. À savoir de l’érotisme grand luxe, emballé dans une solide stylisation de pubard à base d’éclairages baroques et d’ambiances potentiellement moites. Ici, l’image est glacée, le cadre figé, et chaque décor aussi impersonnel qu’une illustration de catalogue Ikea. Et à l’intérieur du cadre, donc ? Ni plus ni moins qu’un casting pris en flagrant délit de constipation, au sommet duquel trône un Ben Affleck éteint et bouffi qui nous rappelle avec tristesse que sa géniale prestation dans "Gone Girl" a déjà huit ans au compteur.

À vrai dire, la comparaison avec le chef-d’œuvre pervers de David Fincher est très clairement ce qui aide à faire passer le temps durant les deux heures d’"Eaux profondes". Une comparaison fatale dont le scénario est clairement le premier à faire les frais. Sur un pitch frelaté (un couple bourgeois décide de réveiller une libido éteinte en s’adonnant aux joies de l’adultère réciproque et voyeuriste), Lyne ose bricoler une succession de scènes invraisemblables, mal écrites et montées au mépris du bon sens. C’est bien simple : tout ce qui est susceptible de tordre ou d’accroître l’extrême minceur du récit (un jeu de regards ambigus par-ci, une pirouette narrative par-là) fait l’effet d’un plat sur une surface aquatique sans vagues. Jusqu’au bout de ses deux heures qui font presque le triple au ressenti, "Eaux profondes" conserve le même rythme mou du genou, la même arythmie narrative, tant et si bien qu’on se met presque à regretter ce minimum de dynamique qui caractérisait la trilogie "Cinquante nuances de Grey". La chair, la matérialité, pour ne pas dire carrément la réalité des corps et des actes, bref tout ce qui devrait forger la moelle épinière d’un vrai thriller érotique répond ici aux abonnés absents. S’il était ici question de réactiver un genre éteint, l’opération fait plutôt penser à l’extraction expéditive d’un cadavre issu d’une tombe délabrée et soumis fissa à l’expertise d’un très mauvais taxidermiste.

La matière scénaristique en elle-même est édifiante. Un point de vue subversif sur le couple ? On ne sait pas trop si c’est une misogynie de vingt ans d’âge ou une aberration scénaristique en roue libre (difficile de croire à ce qui motive Affleck vis-à-vis d’Armas, et vice versa) qui mérite d’être bashée en priorité. Une fête bourgeoise teintée de libertinage ? C’est si terne qu’on vous encourage plutôt à revoir l’ouverture d’"Eyes Wide Shut". Des jeux adultérins pervers qui virent au cauchemar ? Ce n’est pas avec une tête cognée contre un rebord de piscine qu’on va grimper au plafond. Et sinon, comme il s’agit d’un film américain, quid du regard moral et éthique sur cette vie de couple pas comme les autres ? Disons juste que le climax final – que les habitués du genre auront de toute façon grillé à la simple lecture du synopsis – nous laisse à penser que la notion de « prédatrice lubrique » ici à l’œuvre a davantage à voir avec un schéma vieillot de femme fatale sur laquelle le film noir des années 50 a longtemps fait son beurre et que Lyne recrache à l’aveugle sans savoir quoi en faire. Mieux vaut ne miser aucun jeton sur le potentiel d’Ana de Armas, celle-ci n’ayant pas le quart du tiers de la moitié de la fascinante perversité dont faisait preuve Rosamund Pike dans "Gone Girl". Elle n’est hélas que le pion passif d’une intrigue qui voudrait crier une subversion bon marché là où elle n’éructe mollement qu’une « moraline » de façade, sans affect ni percée véritable. Quand on sait que Patricia Highsmith sert de caution littéraire à une histoire pareille, il y a vraiment de quoi s’étrangler.

Quelques pépins ubuesques à souhait, à base de croquage de pomme biblique, de crachats de dentifrice ou de poursuite « Mercedes vs. VTT » (sans doute LA scène dont on va le plus parler !), cochent les cases des ingrédients factices qui font du remplissage à défaut de nous faire rire. Mais à côté de ça, ceux qui espéraient du chatouillage de nouille en mode "SexCrimes" et "Color of Night" peuvent tout de suite sortir la main du caleçon. Ici, le taux d’érotisme est encore plus bas que celui de "Basic Instinct 2" (c’est dire !), on exhibe à peine le quart d’un sein au détour d’un décadrage amateur, et l’art du montage parallèle dont fait ici preuve Lyne a le don de nous faire friser le facepalm (raccord direct entre Affleck qui palpe la texture spongieuse d’un escargot et Armas qui se tripote le haricot allongée dans une caisse de luxe !). Malgré une propension à l’absurdité qui aurait ici de quoi exploser le plafond, il ne nous est même pas possible d’en extraire un véritable art du ridicule, voire de l’auto-parodie, du genre à pouvoir changer un navet bâtard en nanar fendard (ceux qui ont déjà revu "L’Orchidée sauvage", suivez mon regard…). Déjà trépané avant même de lâcher ses premiers mots, plus niqué qu’anachronique, "Eaux profondes" ne fait que tenir la carotte à un spectateur qu’il s’agit plus d’appâter que de satisfaire. Comme attrape-nigaud, on ne pouvait pas rêver pire.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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