EAT THE NIGHT

Le crépuscule (digital) d’un monde décadent

Pablo et sa sœur, Apolline, passent une grande partie de leur temps sur Darknoon, un jeu vidéo en ligne. Mais celui-ci va bientôt disparaître. Au même moment, l’aîné rencontre Night, un homme dans lequel il trouve un partenaire pour ses petits trafics, et même bien plus. Forcément, il s’éloigne de l’ordinateur, laissant sa frangine dans l’incompréhension…

Si leur premier long métrage "Jessica Forever" n’avait pas complètement convaincu, l’œuvre avait eu le mérite de planter les bases de l’imaginaire de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, une forme atypique hybride entre le fantastique et l’hyper-réalisme, une rencontre improbable entre une esthétique froide et dépouillée et l’extravagance des jeux vidéo d’heroic fantasy. Pour "Eat the Night", le duo pousse les curseurs encore plus loin, poursuivant leur exploration d’un style où les images renvoient aussi bien au cinéma social, dans la plus pure tradition française, qu’à une cinématique habituelle des MMO (jeux en ligne multi-joueurs pour les moins initiés). Mais ces deux univers ne font pas que cohabiter, ils s’entremêlent, s’imbriquent, pour conter une intrigue principalement intime : des êtres abandonnés, essayant de survivre comme ils peuvent.

Pablo et Apolline sont depuis des années livrés à eux-mêmes. Alors la fratrie a trouvé dans Darknoon plus qu’un jeu, mais bien une échappatoire, une sorte de paradis où si les maux de notre société sont présents, ils n’ont que très peu d’impact, à l’image de ces violences indolores. Refuge de leur enfance, cet espace numérique représente nettement plus qu’un divertissement ; alors lorsque l’annonce de sa disparition est faite par les éditeurs, c’est tout un monde qui s’écroule pour les protagonistes. Surtout pour Apolline, en réalité, elle qui voit son aîné se rapprocher de Night, un partenaire de crime qui va rapidement occuper une place plus importante dans la vie de son frère, et fragiliser ainsi l’équilibre auquel elle était tant attachée.

Particulièrement réussi dans sa première partie, "Eat the Night" séduit par l’intelligence scénaristique avec laquelle il déploie ses différents récits. Chronique sur l’enfance et romance fiévreuse, le film invite également le thriller vrombissant dans un ensemble hétérogène et pourtant tellement cohérent. Dans cette zone pavillonnaire impersonnelle où chaque pierre semble posséder les stigmates du délaissement, la noirceur recouvre progressivement la pellicule, enfermant les personnages dans un engrenage dont on imagine mal les voir ressortir indemnes. Si cet aspect polar séduit moins, en particulier par la construction caricaturale de la bande antagoniste, le métrage demeure une expérience saisissante, une sorte d’alliage 2.0 entre différents arts, où les codes narratifs fusionnent pour décupler les émotions des héros, et du public avec. Bienvenue dans le monde d’après !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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