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DUELLES

Un bol de cyanure tiède

Alice et Céline sont les meilleures amies du monde, et vivent chacune dans des maisons voisines l’une de l’autre. Le jour où le fils de Céline meurt tragiquement, une simple accusation irréfléchie met leur amitié à très rude épreuve. Peu à peu, face à d’autres tragédies qui se mettent à toucher sa famille, Alice plonge dans la paranoïa et commence à s’interroger : et si Céline essayait de se venger d’elle ?

Duelles film image

Le canevas est classique, l’ambiance paranoïaque paraît entretenue avec malice par la bande-annonce, les codes ont tous l’air de répondre à l’appel : avant même d’être visionné, "Duelles" sent déjà très bon le suspense polanskien où la frontière entre réalité et fantasmes se mettrait soudain à lézarder un quotidien tout à fait tranquille. A l’écran, pourtant, le résultat surprend. Sur la piste d’une amitié qui vire en eau de boudin à cause d’une tragédie inconsolable, on pouvait surtout s’inquiéter de voir tout venir à dix kilomètres et de pouvoir prédire à l’avance une fin potentiellement énigmatique qui nous laisserait dans le même état de folie que son héroïne. Or, contre toute attente, Olivier Masset-Depasse donne souvent l’impression de résister à embrasser les codes du thriller qu’il prétend vouloir manipuler. Cela se traduit dès les premières scènes, où une Veerle Baetens ("Alabama Monroe"), en blonde quasi hitchcockienne à la garde-robe empruntée à la série "Mad Men", abuse autant que possible des regards perçants et des attitudes fiévreuses, nous laissant déjà croire à un personnage atteint de folie avant même que l’élément déclencheur du récit n’apparaisse. Était-ce voulu ? On se le demande…

C’est peu dire que la première heure de "Duelles" est vraiment étrange. D’une scène dramatique à l’autre, le réalisateur n’en rate jamais une pour nous laisser systématiquement un coup d’avance sur son héroïne, laquelle ne cesse de guetter – à tort ou à raison – un complot ou une manipulation dans les faits et gestes de sa « rivale » de voisine (à moins qu’elle ne soit elle-même en plein délire ?). Cette technique du « L’héroïne croit ceci, mais nous, on a déjà deviné que c’était cela… » est ce qui donne alors l’illusion d’un suspense sans suspense, dans lequel deux actrices de très haut niveau se contentent d’offrir une partition de jeu fiévreuse mais sans véritable affect – tout paraît distancé pour briser la suspension d’incrédulité du spectateur. Jusqu’à une dernière demi-heure où, d’un seul coup et de façon assez peu crédible, les règles du pur thriller reprennent soudain leurs droits et guident alors le récit jusqu’à un dénouement effroyable que le réalisateur, assez taquin dans sa gestion du contrepoint, ose filmer comme un happy-end. De quoi rattraper in extremis un thriller qui n’en avait jusqu’ici que le nom, et offrir ainsi à cette relecture conjointe d’un deuil impossible et d’une amitié lézardée le relief d’un petit film de genre assez barré dans sa sortie, mais pas flippant pour un sou. Par analogie, disons que le film hésite trop entre la tisane bouillante et le bol de cyanure tiède.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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