DRIVE-AWAY DOLLS
Girls just want to have fun
Jamie et Marian sont deux amies lesbiennes qui vivent à Philadelphie. Si l’une enchaîne les conquêtes d’un soir et fait montre d’un tempérament explosif, l’autre apparaît bien plus réservée. Le jour où elles décident de changer d’air en s’offrant un road trip girly sous le soleil floridien de Tallahassee, elles vont s’apercevoir un peu tard que leur système de covoiturage leur a réservé une mauvaise surprise : le colis qu’elles doivent livrer en échange de la gratuité de leur véhicule est l’objet d’un énorme quiproquo qui va lancer des truands à leurs trousses…
La recette (gagnante) des frères Coen, on la connaît désormais par cœur, on peut la reconnaître en deux cadrages et trois lignes de dialogues, et on sait surtout ce qui la caractérise. Derrière la proposition (ou la fausse modestie, c’est selon) des deux frangins à explorer les univers codifiés des genres les plus populaires du cinéma américain pour en proposer des variations décalées se niche surtout une approche en deux temps. D’une part le choix d’un récit retors et sans mobile véritable qui active un crescendo insensé prompt à mener plusieurs personnages au drame ; d’autre part la présence d’un ton on ne peut plus postmoderne qui, par le biais du cinéma de genre, ausculte surtout la façon dont les créations de ce dernier (pas mal de codes et de mythes) persistent ou agonisent dans la société américaine. Avec, en bout de course, un vivier quasi infini d’ironies situationnelles, du genre à rappeler tout ce que le terme « condition humaine » peut contenir de paradoxal. À la question « allait-on avoir droit au même principe dès lors que les deux frangins décident de se la jouer en solo pendant une durée indéterminée ? », "Drive-Away Dolls" répond par l’affirmative… mais avec quelques clarifications à la clé.
D’entrée, la découverte de ce road-movie lesbien, co-scénarisé par Tricia Cooke (monteuse pour Joel et Ethan, épouse du second… mais aussi lesbienne assumée qui explore ici un microcosme qu’elle connaît comme sa poche !), prouve surtout à quel point l’écriture si caractéristique des Coen était clairement du ressort d’Ethan – on sent clairement que le point fort de Joel résidait avant tout dans la mise en scène. Ensuite, l’enfilade de situations loufoques et de personnages décalés à laquelle se résume cette nouvelle proposition rentre parfaitement dans la logique des précédents opus des Coen – une jolie cargaison d’individus socialement cloisonnés qui peinent à se hisser à la hauteur d’une intrigue trop grande pour eux et d’enjeux plus ou moins graves sur lesquels ils n’ont aucune maîtrise. Enfin, pas de quoi se sentir ailleurs que dans ses pantoufles de cinéphile accro aux genres les plus bisseux, tant le résultat se veut clairement un hommage aux séries B girly et féministes des années 60-70 tout comme à des bijoux transgressifs signés Roger Corman ou Russ Meyer – on devine bien que la famille Coen a longtemps baigné dans ce cinoche-là. Le résultat ne ment en tout cas jamais sur ce qu’il prétendait être, à savoir un gros délire, sexy et délirant de la première à la dernière scène, d’ores et déjà annoncé comme la première étape d’une trilogie de séries B queers chapeautées par le couple Coen-Cooke.
Expliquer les ressorts du scénario serait en soi un acte de traîtrise, tant le McGuffin ici à l’œuvre – une mystérieuse valise planquée dans le coffre de la voiture de nos deux héroïnes – offre un effet de surprise si gonflé qu’on restera bouche cousue à son sujet. Signalons simplement qu’au détour de cette balade presque aussi mouvementée que celle de "Thelma et Louise" se nichent de délirantes considérations sur la communauté LGBT de la Côte Est des États-Unis (toujours lâchées par une Margaret Qualley au bagou aussi explosif que le sex-appeal) et une pointe de subversion politique à force d’opposer cette liberté sexuelle à un cocon puritain confit d’hypocrisie (ici personnifié par un savoureux Matt Damon). La virtuosité avec laquelle Ethan Coen fait constamment vriller son scénario par les actions inattendues de ses protagonistes les plus atteints (mention spéciale à ces deux tueurs encore plus débiles que ceux de "Fargo" et de "The Big Lebowski" !) impose un rythme optimal et une parfaite redéfinition des enjeux au gré des articulations du récit. Il résulte de cette hilarante virée entre filles une puissante ode à la jouissance et aux chemins de traverse, où le destin relance ses propres dés à chaque nouvelle escale et ce au travers d’une condition humaine soumise à son propre lézardement sous acide – bon point pour les trips érotico-psychédéliques avec Miley Cyrus. Le seul souci d’un tel trajet, c’est qu’il soit trop court – un peu moins d’une heure et demie. Ça passe vite, c’est sûr. Mais ça laisse de sacrés bons souvenirs en tête.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur