DOUCE FRANCE
Déconstruire pour éveiller les esprits citoyens
Amina, Sami et Jennyfer, trois lycéens de 17 ans, habitent en Seine-Saint-Denis, non loin des terres agricoles du « Triangle de Gonesse » qui risquent d’être englouties par le gigantesque projet « EuropaCity », un mégacomplexe réunissant commerces, loisirs et diverses activités sur 80 hectares. Dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire de leur lycée, ils enquêtent sur ce projet pour en comprendre les enjeux et se faire leur propre opinion…
Sortie en E-Cinema le 06 mai 2020 sur la Vingt-Cinquième Heure
En 2019, "J'veux du soleil" utilisait dans sa bande originale deux versions de la chanson "Douce France" pour accompagner sa volonté de construire un regard nouveau et bienveillant sur le mouvement des Gilets jaunes en parcourant la France. Le documentaire "Douce France" et celui du duo Ruffin-Perret ne partagent pas seulement le tube rétro de Charles Trénet et la même société de distribution (Jour2Fête). Il s’agit aussi dans "Douce France" de proposer une vision différente d’un territoire, en l’occurrence la Seine-Saint-Denis, et plus précisément du côté de Gonesse et Villepinte.
Ce regard neuf passe par une forme très cinématographique, notamment grâce à l’usage de steadycams et de drones – dont "Les Misérables" ont prouvé l’an dernier la pertinence pour montrer les banlieues autrement. Le documentaire de Geoffrey Couanon propose ainsi une exploration douce, chaleureuse, disons même amoureuse, des lieux que la caméra nous fait découvrir. Avec le choix de certains plans, certains décors et la musique du groupe Le Skeleton Band, " Douce France" a aussi des airs de western pacifique. Lucide mais jamais misérabiliste, le film s’attache à montrer que la Seine-Saint-Denis ne se limite pas à l’indigence des grands ensembles et qu’il y a bien des possibilités d’édifier un présent et un avenir plus radieux pour les habitants de ce territoire.
Mais la grande question, c’est comment ? Présenté comme une opportunité hors du commun, le projet « EuropaCity » est-il vraiment bénéfique pour la région et sa population ? Bien que penchant ouvertement à gauche et en faveur d’un certain altermondialisme, le film de Geoffrey Couanon a le génie de ne pas être trop manichéen ni donneur de leçons, et de laisser la parole à des opinions diverses – tout en mettant quand même plus en valeur et en lumière les opposants au projet et les « proposants » ! Cela passe par ces personnages de lycéens-enquêteurs qui sont au centre du récit. Parler de personnages et de récit pour un documentaire n’a rien d'aberrant, et c’est plus qu’évident ici. Attachantes, drôles ou pertinentes, les attitudes et les paroles de cet enthousiasmant trio d’adolescents tiennent à la fois de l’innocence rebelle des banlieusardes de "Bande de filles" ou "Divines" que des répliques d’Audiard ou de Tarantino !
En suivant leurs propres réflexions et interrogations, et en étant souvent ébahis par leur perspicacité, on prend conscience avec eux qu’il serait vain d’avoir un avis tranché et définitif sur les problèmes de société et les solutions à proposer pour y remédier. Certes, le réalisateur oriente progressivement le trio et les spectateurs vers des chemins alternatifs qui paraissent bien plus adéquats et enthousiasmants que l’ultra-libéralisme bétonneur – au point d’en faire peut-être un peu trop à la fin quand il élargit son sujet, par exemple avec les ressourceries. Mais Geoffrey Couanon prend aussi la peine de montrer les doutes et la complexité. L’ouverture de son film est à ce titre déstabilisante : ce reportage d’archives, plein de promesses sur les vertus des grands ensembles, paraît totalement hypocrite quand on connaît la décrépitude que ces quartiers connaissent, mais la suite montre également qu’il y a tout de même de quoi espérer plus de joie et de prospérité selon les choix politiques, sociaux, économiques ou environnementaux effectués.
Surtout, ce documentaire montre une chose essentielle : les citoyens doivent s’impliquer à leur échelle et prendre conscience de leur territoire pour le sauver et se sauver eux-mêmes (on retrouve la même volonté d’impliquer les « gens d’en bas » et les « invisibilisés » que dans le récent "Nous, le peuple"). « Un géographe, ça pense avec ses pieds », disait le géographe français Jean Delvert. "Douce France" prend cette maxime au pied de la lettre, parcourant l’environnement de ses protagonistes en les faisant eux-mêmes sillonner les environs afin de prendre véritablement connaissance de la richesse des lieux qui sont à leur portée. Le film tisse ainsi une géographie humaniste d’une Seine-Saint-Denis que l’on aurait toutes et tous envie de défendre et même d’habiter !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Douce France, le film – Bande annonce from De Deux Choses Lune on Vimeo.