LE DOS ROUGE
Branlette intello
Question (pas si) simple : pourquoi allons-nous au cinéma ? Est-ce par pur souci de divertissement, par désir de se cultiver et de trouver matière à réflexion, ou alors par envie de se confronter à un point de vue approfondi sur un sujet précis ? Et dans ce dernier cas, doit-on en déduire que la théorie proposée doit passer uniquement par le verbe ? Si tel est votre cas, nul doute que "Le dos rouge" sera votre tasse de camomille. En ce qui concerne l’auteur de ces lignes, ce sera l’exact inverse : en lieu et place d’un film théorique qui laisserait au langage cinématographique le soin de stimuler son audience, il faudra se farcir une longue litanie de scènes verbeuses et prétentieuses où le cinéaste Bertrand Bonello et une historienne à double visage (Jeanne Balibar et Géraldine Pailhas se partagent le même rôle) fixent des tableaux tout en énonçant leurs théories sur l’art. L’impression est la même que d’être coincé dans un musée avec un couple de vieux intellos qui se la jouent vaniteux sur le sens de telle ou telle composante artistique. Même Peter Greenaway n’allait pas aussi loin dans le concept…
La grosse gaffe aura été de mentionner "Vertigo" d’Alfred Hitchcock au détour d’une ligne de dialogue, tant le film d’Antoine Barraud n’a de cesse de s’en imprégner jusqu’à l’écœurement. Les visites au musée, les jeux de miroir factices entre Balibar et Pailhas, le créateur égaré dans son propre raisonnement et lancé dans un projet à la limite du fumeux, la mise en abyme d’un « film » alors en construction, etc… Tout y passe, sauf le suspense, la chair et la tension. Parce que rien n’existe dans "Le dos rouge", si ce n’est un chapelet de théories incompréhensibles sur Caravage ou Diane Arbus, et une valise entière de bizarreries réparties entre les différents noms du casting. Petit florilège : Joana Preiss chantonne un coup de téléphone, Natalie Boutefeu prend des cours de danse, Isild Le Besco en plan fixe de cinq minutes devant lequel des spectateurs restent statufiés, Jeanne Balibar toujours avec son intonation si spéciale, Charlotte Rampling en voix-off totalement superflue, etc…
Et d’un bout à l’autre d’un film déjà fortiche pour étaler de la métaphysique de bazar (« Ce qui se passe n’est pas en train de se passer ») règne encore et toujours cette stratégie vaniteuse visant à faire en sorte que tout devienne art et matière à théoriser, que ce soit la tâche rouge sur le dos de Bonello ou la notion de « contradiction » (Nicolas Maury demande ici si elle a une valeur artistique : sérieux ?). Barraud va même jusqu’à rater ce qu’il avait si bien réussi dans "Les gouffres", soit l’immixtion d’un fantastique diffus au sein du réel. On doute qu’une poignée de floutages, quelques plans arty et des plans vibreurs à la Philippe Grandrieux suffisent à créer le moindre trouble. Surtout que cette quête de la monstruosité dans la peinture dure quand même plus de deux heures. Et oui, c’est juste à se flinguer.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur