DOS MADRES

Un film de Víctor Iriarte

Une mise en scène particulièrement riche

Vera, sténographe judiciaire, a eu un enfant une vingtaine d’années plus tôt, mais ne se sentait pas capable de l’élever. Lorsqu’elle a voulu enfin avoir des nouvelles, on lui a dit que celui-ci était mort à la naissance. Mais elle se rappelle bien de ses cris, et n’a jamais cessé de le chercher, son dossier ayant mystérieusement disparu des archives. Cora, elle, a adopté un bébé il y a une vingtaine d’années, qu’elle a prénommé Egoz, à qui l’on a toujours raconté que sa mère biologique était morte en couche. Ayant enfin retrouvé sa trace, Vera lui propose dans une lettre de le retrouver dans une maison de campagne, au Portugal…

Une main suit différents plans, imbriqués, accompagnée d'une musique porteuse de suspense, alors qu'une voix de femme enregistre des indications pour un trajet vers une maison située après une église en ruine, une mine abandonnée, une montagne... Ses mains déposent un revolver à l'intérieur d'un livre aux pages découpées pour accueillir l'objet. Ainsi s'ouvre cette œuvre à la fois étrange, envoûtante et parfois déroutante que constitue "Dos Madres", premier long métrage de Víctor Iriarte, oscillant entre le drame et le thriller. Une œuvre chapitrée en quatre parties aux durées inégales ("Lettre de Vera à Egoz", "D'Egoz De Cora", "Trois", "Post-scriptum") où dominent les voix-off des personnages, retraçant diverses lettres que les images viennent compléter par bribes, sans chercher à les illustrer.

C'est ainsi une véritable expérience de cinéma qui s'offre à nous, aussi ponctuellement étrange qu’envoûtante, évoquant une page sombre de l'Histoire de l'Espagne, avec ces fantômes que sont devenues certaines mères, privées de leur enfant. En effet, sous Franco et un peu au-delà, entre 1940 et 1990, près de 300 000 bébés ont ainsi été dérobés à leurs mères à la naissance pour être placés dans d'autres familles, les dossiers se trouvant falsifiés et ayant été détruits pour certains. Partant de la recherche de l'enfant, l'intrigue évoque ainsi les tracas administratifs, la traque des responsables, et surtout l’implacable désir de vengeance, faisant ponctuellement plonger le métrage du drame intimiste vers le thriller. Une sensation que vient renforcer l'image, notamment dans cette scène assez incroyable où l'on suit un simple point vert lumineux, tel le pointeur d'un fusil qui menacerait l'héroïne (qui prend alors des risques), sur des cartes au mur, alors que le son suggère les différentes étapes de sa voiture sur le parcours.

De même, lorsque Cora décide de ne pas laisser son fils seul dans les retrouvailles, entre peur de le perdre et désir de l'épauler, c'est une image circulaire (en forme d’œilleton) qui suit les personnages. La troisième partie se transformera elle en préparatifs d'une sorte de casse, aux chorégraphies répétitives étranges et aux ellipses troublantes. Grâce à ses différents dispositifs, Víctor Iriarte parvient à provoquer des montagnes russes d'émotion, tout autant qu'une certaine tension. Mais le film doit aussi sa force à son duo d'actrices, Lola Dueñas ("Viaje", "Robuste", "Les Amants passagers", "Volver"...) parfaite de détermination et de fragilité mêlées, et Ana Torrent ("Fermer les yeux", "Deux sœurs pour un roi", "Tesis"...). Un thriller expérimental dans sa mise en scène, découvert l'an dernier aux Giornate Degli Autori du Festival de Venise, et qui vous reste longtemps en mémoire.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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