DON'T LOOK UP : DÉNI COSMIQUE
WE’RE ALL GONNA DIE, YOU STUPID FUCK !!!
Deux piètres astronomes découvrent un soir au télescope l’existence d’une comète qui entrera en collision avec la Terre dans un peu plus de six mois. Le compte-à-rebours est lancé pour alerter les médias et l’opinion publique du danger qui semble d’ores et déjà condamner l’humanité à l’extinction définitive. Sauf qu’autour d’eux, le monde n’a pas l’air de tourner bien rond…
La fin approche. Celle de l’année 2021, bien sûr, mais aussi celle d’un monde avec un cerveau en état de marche si l’on en croit la montée exponentielle de la courbe de l’idiocratie 2.0 qui souille et définit nos sociétés actuelles. Ceux qui ont encore en mémoire le mémorable "Idiocracy" de Mike Judge savent à quel point la bêtise n’est aujourd’hui plus un fléau mais un acquis, et à quel point l’actualité ne cesse de faire passer cette fiction pseudo-débile de 2006 pour un documentaire turbo-lucide sur les dernières décennies. En ce moment, entre des couillons de politicards qui redoublent d’hypocrisie pour fusiller leurs concurrents et des médias qui redoublent d’efforts dans leur course au buzz qui racole, on a chaque jour envie de vomir nos tripes dans une bassine, mitraillé que l’on est par ce matraquage aussi vain que puéril. Au point que l’envie de se couper de ce bordel online se fasse de plus en plus ressentir, histoire de respirer un peu, de s’apaiser, de méditer, de lire des livres, de cultiver son jardin (au propre comme au figuré), bref de retrouver un peu de cette intelligence perdue. Mais comme on se sait enchaîné à l’enfer ambiant, la sinistrose n’est jamais bien loin… Fermons cette parenthèse pour mieux ouvrir celle – cinématographique celle-là – qui va nous intéresser ici, et qui, pour le coup, s’avère aussi réellement salvatrice que profondément terrifiante.
Depuis deux films, la virtuosité d’Adam McKay à bétonner le terrain des plus grands cinéastes pamphlétaires d’Hollywood avait pris une ampleur assez phénoménale. Que ce soit pour démonter la mécanique diabolique de la crise des subprimes avec "The Big Short" ou pour déboulonner la statue du vice-président le plus craignos des États-Unis avec "Vice", les preuves défilaient par camions entiers. Le rire jaune faisait la bête à deux dos avec la trouille carabinée, la narration fonçait pied au plancher pour mieux installer un réel sentiment d’urgence et accroître le stress, la transgression des conventions du montage ouvrait une fenêtre de dialogue connectée avec son public, et les performances d’acteurs plus fiévreux et habités tu meurs faisaient monter la température chez les votants aux Oscars. "Don’t Look Up" ne fait pas que prolonger cet état des lieux, il l’amplifie jusqu’à ce que le degré de saturation soit à des années-lumière derrière nous.
Comprenons par là qu’en mettant en perspective un sujet aussi global et universel que la fin du monde, McKay se la joue encore Oliver Stone du Saturday Night Live, feignant de friser le didactisme pour mieux placer l’audience face à son ignorance et/ou à sa bêtise, subvertissant de facto la comédie noire qui se penserait plus maline en se montrant moins bête. Chez McKay, la bêtise est autant une arme qu’un moteur narratif. Et l’utiliser sans jamais en freiner la portée, c’est toucher du doigt un point alarmant. Lequel ? Celui dont on parlait un paragraphe plus haut – notre planète est une pompe à merde généralisée – et que le film traite en allant jusqu’au stade terminal – une comète bien longue et bien dure s’apprête à infliger à la Terre la bifle qu’elle mérite.
Que faire d’un pitch aussi fou ? Rien de moins que l’équivalent sur image HD de tout ce que la série "South Park" a pu mettre en exergue à propos de la société américaine (même si le film vise plus large que la patrie de l’Oncle Sam), soit une grande marmite d’eau bouillante dans laquelle tous les pires croûtons sociétaux s’agitent en ébullition jusqu’à formation d’une matière souple. Couplez celle-ci avec des restes émiettés de "Dr Folamour", relevés au poivre subversif pour que le goût soit encore plus acide et méchant que chez Kubrick. Ajoutez à cela quelques épices de "Southland Tales", histoire que cette sauce d’idiocratie généralisée s’harmonise génialement bien avec le spectre d’une fin du monde néo-millénariste. Chauffez tout ça avec de la punchline ultra-inflammable durant près de 2h25 sans pause pipi, et vous aurez enfin le plat de résistance : ni plus ni moins que la plus grosse tarte à la crème filmique que notre planète se sera prise en pleine tronche à ce jour.
A la manière d’un épisode de "South Park" qui suinte la satire bazooka, un tel film vise autant la mise à l’index que l’atomisation subversive de tout ce qui peut – et mérite de – l’être. De la découverte de la comète jusqu’à un climax hallucinant que l’on s’interdira de dévoiler, tout n’est ici que matière à susciter stress et hilarité, les deux ne cessant de monter de façon stratosphérique à mesure que la situation se montre toujours plus absurde. Et pour ce qui est de tirer la sonnette d’alarme sur l’état de la pensée contemporaine tout en cherchant à divertir son audience, disons seulement qu’une écriture aussi acérée aurait de quoi renvoyer fissa Michael Moore à ses gribouillages anarchistes d’école primaire. Ce n’est pas une image. C’est un euphémisme. Décrire des scènes de manière précise serait d’ailleurs autant criminel qu’inutile. Parce que l’effet de surprise se doit d’être préservé, mais aussi parce que le film se vit au lieu de s’analyser. Il faut dire que seule la mise en scène foudroyante et polyphonique d’Adam McKay drive l’intégralité du truc. Ses cadrages serrés et ses plans d’ensemble se juxtaposent ici par logique de récit autant que par souci d’accroître l’illogisme des enjeux, tandis que son montage, là encore assimilé à un countdown, se montre incroyablement taré.
Comme si le film était guidé par un fou ayant abusé de substances interdites, le cinéaste ne se fixe aucune limite, raccordant des scènes divergentes en matière de ton et d’énergie interne, coupant parfois les phrases en plein milieu pour les reprendre plus loin, enfilant les audaces visuelles (dont des incrustations de texte à l’écran et des plans en mode National Geographic) afin de pétrir l’ironie situationnelle de la scène en question, et casant même ici et là des énormités qui laissent pantois (ce n’est pas tous les jours que vous verrez Meryl Streep prendre la pose à côté de Saumon Agile !). Et son casting, royal au-delà du raisonnable (ça sent déjà l’embouteillage pour les Oscars !), invite tout Hollywood à participer au saccage de sa propre outrance. Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence – qui se faisaient de plus en plus rares ces derniers temps – s’offrent ici un double come-back sensationnel, dans le rôle de deux lanceurs d’alertes toujours plus dépassés par les événements, épuisés par leurs conséquences et étrillés par les lapins crétins qui les entourent (mention spéciale à Mark Rylance en version 5.0 monstrueuse d’Elon Musk !). On vit l’enfer avec eux, pris en flagrant délit d’hilarité maximale et de serrage de dents douloureux, avec les zygos étirés façon stretching. C’est dire si ça fait mal dans ce chef-d’œuvre de fou furieux.
Que dire pour finir ? Ni plus ni moins qu’un bon gros fuck you adressé à plein de monde. En vrac : les politiques qui mettent leur look et leur ambition au-dessus de l’intérêt du peuple, l’armée qui singe la valse des pantins répressifs, les scientifiques qui ont souvent l’air de tirer leurs diagnostics à la courte paille, les milliardaires nerds qui déguisent leur obsession du profit et du contrôle orwellien en bienfait humanitaire, les médias crétins qui surfent sur un buzz à la con au détriment de tout ce qui est vital, les émissions de télé over-crétines qui tournent en dérision la moindre info – y compris quand elle est d’une gravité extrême – pour mieux décerveler et anesthésier leur audience, les autistes pro-GAFA qui se sentent exister au moindre like reçu, les bimbos kardashianisées qui s’auto-lèchent le haricot en romançant une vie privée aussi intéressante que le fond d’une cuvette de WC, les influenceurs qui parlent du rien comme si c’était le tout, les trolls SJW qui exhibent leur vanité et leur ego sous prétexte d’une justice sociale qu’ils contribuent à salir, les rappeurs avec un pois chiche sous le crâne d’œuf, les drogués qui se niquent la santé en accéléré pour mieux se niquer la vie au ralenti, les culs-bénits pour qui seul l’invisible est visible, les « fils de » pétés de thunasse qui jouent les moutons (au mieux) et les chèvres (au pire), les pseudo-journalistes Ken & Barbie qui sourient bêtement face à un prompteur, les critiques de cinéma qui jouissent dans leur slip à force de se shooter à l’invective badass, l’auteur de cette critique qui a bien masturbé son clavier de PC pour écrire ces quelques foutus paragraphes, etc… Bref, adieu les cons, comme dirait l’autre. Et bonnes fêtes de fin d’année.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur