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DOMINO – LA GUERRE SILENCIEUSE

Un film de Brian De Palma

De Palma pas très Brian

Suite à l’agression de son coéquipier durant une intervention de routine, un policier de Copenhague se lance à la recherche du coupable à travers toute l’Europe, aidé par la maîtresse de son défunt collègue. Ce qu’ils ignorent, c’est que celui qu’ils poursuivent – a priori un simple membre de l’État Islamique – entretient des liens très ambigus avec la CIA, et que cette affaire va peu à peu mettre à jour une sombre conspiration terroriste…

Domino - la guerre silencieuse film image

Ce film-là, avouons-le sans ménagement, on l’attendait avec une sacrée trouille. En fan absolu du cinéma de Brian De Palma, on était même presque sûr, au vu de ce qui avait déjà filtré à son sujet, que le résultat aurait tout d’une catastrophe indigne de son auteur. Financement désastreux, équipe technique mal payée, ingérences diverses dans le processus de production, réalisateur privé de toute capacité à tourner… les rumeurs allaient bon train. Le cinéaste lui-même avait déjà craché son ras-le-bol de ce projet de coproduction européenne alors même qu’il était en pleine pré-production. Et au vu de ce qu’était son prodigieux précédent film (une "Passion" au doux parfum commun de chant du cygne et de film-somme), la crainte de voir un cinéaste en flagrant délit de radotage s’était ajoutée à l’équation. Il ne restait plus qu’à voir la bête. On l’a vue. Et on ne sait pas très bien quoi dire. Déjà qu’il n’y a rien à voir avec le chef-d’œuvre éponyme de Tony Scott, qui se confrontait pourtant de plein fouet aux images impures et trash pour les condenser dans un ovni expérimental encore inégalé. De Palma ne s’est certes toujours pas débarrassé de sa réflexion théorique sur l’image (tant mieux), mais ce qu’il effectue sur "Domino" relève d’un grand écart entre le brouillon et le bâclé.

Le problème central du film ne tient pas tant dans des problèmes de production qui crèvent l’écran deux scènes sur trois : narration mollassonne, photo ingrate, décors quelconques, casting aux fraises où personne ne semble dirigé, etc… Tout ceci est effectivement problématique, mais pas si étonnant que ça si l’on repense à bon nombre de cinéastes cultes – d’Alfred Hitchcock à Tobe Hooper – qui ont passé leur fin de carrière à se la jouer funambule avec des conditions budgétaires toujours plus frugales. Non, le gros problème vient du sujet du film : Daesh et tout particulièrement la propagation d’attentats filmés sur le Web. Sujet fort en soi, que l’on aurait pu imaginer idéal pour De Palma, mais qui, à l’écran, nous renvoie hélas à la case "Redacted" du cinéaste – la moins intéressante. Soit une transposition de sa réflexion sur l’image à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, mais par laquelle prévaudrait le seul bric-à-brac de vidéos compilées et juxtaposées sans montage prédéfini. Il faut le voir recréer des attentats choc de Daesh en usant de ses effets personnels (split screen, vue subjective, écran en poupées russes, suspension du temps…) pour n’en faire finalement rien du tout : pas des scènes d’action dérangeantes et jouissives, pas des scènes d’horreur pure, juste des images sans grand intérêt. Est-ce parce que le cinéaste arrive en retard sur le sujet ? Est-ce parce que trop de films sur le sujet ont déjà pullulé ? Est-ce parce que le bidonnage de l’image est devenu si monnaie courante qu’on finit par ne plus rien y voir ? Toujours est-il que le petit monde de Brian De Palma s’est quelque peu grippé…

Le seul espoir de remonter la pente pourrait tenir dans la mise en scène du bonhomme, laquelle se limite ici au strict minimum. Une caméra mobile, une élégante partition musicale de Pino Donaggio, un climax final à haute teneur chorégraphique sur fond de corrida et de Bolero… Est-ce suffisant ? A vous de voir. Le fan que l’on est sera peut-être capable d’y faire preuve d’indulgence, surtout en prenant acte de ce qui se produit avec beaucoup de grands cinéastes des années 80-90 qui rament de plus en plus à réaliser de nouveaux films. La question à se poser est simple : est-ce qu’avec un budget plus faible et une ambition revue à la baisse, le style d’un cinéaste peut perdurer malgré tout ? L’an dernier, on a vu ce que ça avait donné avec John Woo : son "Manhunt" n’était pas seulement un film médiocre indigne de sa signature, mais un mauvais film tout court, très mal écrit et réalisé avec la tête ailleurs. Il n’en est pas de même concernant De Palma : s’il est évident que "Domino" déçoit au regard de ce que l’on est en droit d’attendre de sa part, son statut de DTV (Direct to video) aussitôt vu aussitôt digéré n’est pas pour autant du genre à nous coller une vilaine grimace sur le visage. C’est le minimum.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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