DESERT OF NAMIBIA
Le mirage du sens
A seulement 21 ans, Kana laisse le temps couler sur elle comme si de rien n’était. Rien ne semble trouver valeur à ses yeux, que ce soit son boulot dans un institut de beauté, le moindre micro-événement dans sa vie, ou même l’amour lui-même – elle vient tout juste de quitter un homme pour un autre. Peut-être parce qu’elle n’a pas fini de se chercher elle-même ? Ou peut-être parce qu’un spleen bien plus profond la taraude sans cesse ?
Contrairement à ce que son titre laisse entendre, ce film ne se déroule pas en Namibie mais au Japon, et on n’y trouve aucune trace d’un quelconque désert. Ou alors s’agit-il d’un jeu métaphorique, auquel cas le néant de la chose pourrait trouver un premier stade de justification. À vrai dire, on s’en fiche un peu, car, à l’instar de son héroïne qui se cherche sans se trouver, "Desert of Namibia" semble courir après un mystère intime qu’il échoue systématiquement à incarner par son écriture ou sa mise en scène, toutes deux prises en flagrant délit de fainéantise. Pour faire plus simple, faire « vide » pour capturer le vide existentiel sans la moindre perspective a tout de l’acte kamikaze. Et quand, au terme de deux heures de métrage, une petite fenêtre incrustée dans l’écran et la redéfinition « miroitée » d’un décor jusqu’ici familier viennent tout à coup cimenter une apparente rupture narrative crypto-méta, ce n’est même pas pour clarifier l’énigme (si tant est qu’il y en ait une) autour du schéma interne de cette jeune tokyoïte bipolaire. Qu’un film soit opaque et s’efforce de conserver ce cap en laissant planer un doute constructif par des moyens purement cinématographiques est hautement louable en soi. Mais pas quand ce sont précisément ces moyens-là qui pointent sans cesse aux abonnés absents.
Durant un peu plus de deux heures, au gré des micro-événements qui se succèdent tout au long de la narration (disputes en huis-clos, sorties au bar ou au salon de tatouage, rencontres professionnelles sans affect, harcèlement en pleine rue…), tout le film de Yoko Yamanaka relève du brouillon pur et simple, plus désordonné que libre, plus univoque qu’universel dans sa peinture d’une vie urbaine oppressante. On se lasse bien vite de ce quotidien filmé dans sa nudité la plus totale, où l’on passe d’une ébauche d’enjeu à une autre sans que rien ne vienne créer de stimulation d’ordre sensitif ou intellectuel, et où l’on passe surtout le plus clair de son temps à subir les inégalités de tempérament d’une jeune femme constamment motivée à l’idée d’envenimer tout début de relation – ce qui la rend vite insupportable – et surtout limitée à révéler in fine son incapacité à comprendre ce qui la travaille – c’est bien là la seule fois qu’on la comprend. Sans sensualité ni symbolique promptes à transcender la banalité du quotidien, un tel substrat d’un certain auteurisme nippon, à fond dans l’ascétisme plastique et narratif au détriment du sens et de nos sens, ne suscite qu’une indifférence polie. N’est pas Ryūsuke Hamaguchi qui veut.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur