DÉESSES INDIENNES EN COLÈRE
Sous les saris des femmes
Il y a des films qui ont plein de défauts mais qu’on pardonne aisément grâce aux nombreuses qualités qui les accompagnent ! "Déesses indiennes en colère" est de ceux-là. Certes, la réalisation est parfois maladroite : c’est un peu désorganisé, le scénario ne prend pas toujours le temps nécessaire pour construire ses personnages et il se sert de quelques grosses ficelles prévisibles, certains effets tiennent occasionnellement du cinéma amateur et/ou tirent vers le kitsch ou le gnangnan, on ressent quelque gêne dans le traitement du personnage de la domestique… Le film de Pan Nalin souffre partiellement des mêmes défauts que "Sous les jupes des filles" d’Audrey Dana (avec lequel il a plusieurs points communs), à ceci près que le réalisateur indien a privilégié un mélange plus subtil de drame et de comédie et qu’il s’est fort heureusement limité à sept femmes, ce qui permet à la fois de mieux cerner les personnages et de moins noyer son propos dans un film choral qui, chez Dana, pouvait s’avérer sympathique mais confus. C’est surtout dans ses côtés mièvres que le film pèche, quand il oblique du côté des longs métrages hollywoodiens estampillés « pour filles », avec son lot de pleurnicheries, de bons sentiments, de coup de foudre sur musique mielleuse ou de répliques fifilles de type « c’est trop chou ». Ces aspects-là peuvent en effet sembler à contre-courant du plaidoyer pour les droits des femmes, central dans le scénario.
Venons-en donc à ce qui donne à ce film, pourtant imparfait, une incroyable puissance. Le début est tonitruant : chaque personnage fait face à une situation misogyne (par exemple l’actrice qui se voit dire par un réalisateur « remue ton popotin, c’est tout ce qu’on te demande ») et se rebelle, par les mots et par le corps, justifiant immédiatement le titre. C’est en cela que le film est réjouissant dès le départ : les héroïnes font et disent ce que n’osent pas toutes les femmes (et pas seulement les Indiennes) à cause des habitudes et du poids de la société (dont le fameux plafond de verre qui les maintient artificiellement en état d’infériorité). Malgré les moments d’émotion et la gravité des thématiques, le film s’avère terriblement vivant et souvent joyeux, refusant ainsi une posture d’apitoiement sur le sort des femmes au profit d’une libération réelle ou symbolique de personnages qui sont avant tout dans l’action ou la revendication. Ces femmes n’hésitent ainsi pas à faire exploser les tabous en se battant avec des hommes, en sifflant un autre qui leur plaît, en mimant un orgasme, etc.
Le film est un véritable appel à une liberté totale des femmes, appel qui passe entre autres par exemple par la référence à la déesse Kali (« On l’est toutes un peu », dit l’une des héroïnes à propos de cette divinité enragée) ou par des dialogues qui font remarquer que les femmes devraient être plus solidaires dans leur lutte commune (« Les femmes sont leurs pires ennemies », déclare Suranjana) ou qui dénoncent l’hypocrisie de la société patriarcale (« Même avec mon sari couvrant, on me fait des remarques obscènes », s’indigne Laxmi).
Quand vient la dernière partie du film, tout bascule sans qu’on y prenne garde. Si tout n’est pas convaincant au moment même de ce renversement (mais peut-être est-ce à cause de l’effet de surprise car on s’était habitué à l’atmosphère précédente et on s’était attaché aux personnages), l’histoire prend une force nouvelle et donne un sens plus dramatique au titre du film, ramenant à la réalité personnages comme spectateurs, en rappelant la dureté concrète de la vie des femmes indiennes et en connectant le film aux faits divers récemment médiatisés sur ce pays, jusqu’à un final grandiose et bouleversant. Âmes émotives, préparez vos mouchoirs !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur