Festival Que du feu 2024 encart

DANS LA COUR

Un film de Pierre Salvadori

Chasser ses peurs

Antoine était musicien. Ayant tout claqué du jour au lendemain, il réussit presque par erreur à trouver un boulot de gardien d'immeuble. Chargé de faire régner propreté et ordre dans ce microcosme, il croise les uns et les autres dans la cour, chacun lui demandant un service ou une faveur. Peu à peu des liens se tissent, notamment avec Mathilde, fraîchement retraitée, inquiète au sujet d'une fissure dans le mur de son appartement...

Pierre Salvadori ("Hors de prix", "Après vous...") revient avec une comédie toute en finesse traitant de la dépression et des ressorts de la vie. Après avoir quitté la scène, on retrouve notre ex-chanteur dans le bureau d'une conseillère en intérim, qui s'avère tout-aussi dépressive. Lui-même apathique, Antoine (Gustave Kervern, massif, le regard désabusé) erre dans la vie, et expliquera plus tard son incapacité à ressentir quoi que soit. Alors, fraîchement engagé en gardien, il renvoie en façade, l'image d'un homme accessible et aimable, mais au regard triste, avant de se réfugier dans son antre, où, insomniaque, il s'enfile bières et rails de coke.

Autour de sa loge, c'est tout un microcosme que l'on découvre progressivement, toute la nature humaine semblant résumée à un groupe de personnages, attachants ou drôles, qui font le saveur de cette comédie aux dialogues savamment soupesés. Il y a le voisin du 3e, à cheval sur le règlement, le drogué qui envahit l'espace commun avec ses vélos et se fout des règles, le SDF qui squatte dans l'atelier, mais surtout il y a Mathilde (Catherine Deneuve, fragile, pétrie d'inquiétude), insomniaque comme lui, perturbée par tout le temps qui s'offre soudain à elle, et en qui Antoine trouve une âme cousine.

Le comique fonctionne à merveille, partant du principe que le personnage, « spécialiste de l'accablement », venu ici pour se reposer, n'a finalement pas le temps de s'isoler. Il devient malgré lui le vecteur de nouvelles relations, et peu à peu l'oreille neutre et attentive, qui permet à chacun de dévoiler ses failles, et les motifs de ses névroses. Et dans sa relation avec Mathilde, une jeune retraitée dont les inquiétudes semblent paralyser la moindre motivation, le message du film prend peu à peu sens, autour de la volonté de vivre.

L'intelligent scénario se focalise sur la capacité de chacun à entretenir ses propres peurs. Jouant sur les ressorts excessifs de la paranoïa (la campagne de Mathilde dans le quartier pour connaître la vérité sur la stabilité de l'immeuble est aussi saugrenue qu'amusante), il dessine aussi le portrait d'une humanité cabossée qui a désespérément besoin de distinguer le solide, le durable, de l'éphémère. Esquissant une réponse aux malaises de chacun dans la possibilité d'un contact humain et d'échanges qui ne sont cependant pas donnés à tout le monde, "Dans la cour" rappelle que parfois ce qui réconforte vous détruit aussi, mais que « les mensonges des gens qui vous aiment sont les plus belles des déclarations d'amour ». Une œuvre sensible, définitivement à part, qui non seulement permet de relativiser ses propres malheurs, mais incite à dépasser ses angoisses.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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