DAAAAAALÍ !
Un film surréaliste inspiré
Judith, journaliste française de 33 ans, a obtenu une interview avec Salvador Dali. Un peu fébrile, elle répète, en attendant que son invité arrive. Mais alors qu’il apparaît au bout du couloir, marchant, celui-ci ne semble pas réellement avancer. Enfin arriver dans la suite où doit avoir lieu l’entretien, celui-ci repart soudainement, car il n’y a pas de caméra…
C’est peu de chose de dire que l’on attendait avec impatience la nouvelle invention de Quentin Dupieux, après les bioman anti-tabac de "Fumer fait tousser" et le spectateur mécontent "Yannick" qui interrompt un spectacle pour en prendre le contrôle. Et c’est au Festival de Venise 2023 que l’on a pu enfin découvrir ce que l’on peut qualifier de non-portrait de Salvador Dali ("Daaaaaali !"), puisque il s’agit de l'histoire d’une interview qu’une journaliste ne parvient pas à faire avec lui, le maître dictant conditions et exigences jusqu’à prendre le contrôle d’une sorte de documentaire sur lui. Forcément auto-centré sur ce personnage excentrique, le film de Quentin Dupieux a le mérite de surprendre à presque chaque instant, en évitant le biopic classique pour s’intéresser au fonctionnement du maître en l’invitant finalement à diriger son portrait.
Le film démarre ainsi sur un piano-fontaine, faisant aussi office de jardinière (inspiré de "Fontaine nécrophilique coulant d'un piano à queue", 1932), pour rapidement nous plonger dans les obsessions de Dali pour sa propre représentation, tout en faisant allusion ponctuellement à d’autres de ses heures (le rêve du prêtre, la pause d’un homme avec un crâne déformé…). Mais l’originalité profonde du métrage, est sa capacité à désarçonner à presque chaque nouveau plan, en faisant interpréter l’artiste par pas moins de 6 acteurs différents, dont Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et Pio Marmaï, opérant les substitutions alors qu’ils changent à chaque nous décors ou parfois lors d'une coupe dans une scène. Et comme l’usage d’une simple canne, une moustache, une coiffure comme figée dans le vent, et des yeux de fou suffisent à nous les faire confondre, l’absurdité devient ainsi le maître mot dans cette omniprésence d’un Moi envahissant. Les acteurs semblent prendre en tous cas un malin plaisir à jouer le surmoi et à rouler les R à profusion, pour mieux nous perdre dans ce personnage insaisissable.
Construit dans un système de boucles aussi absurdes de réjouissantes (on ne contera rapidement plus les fins du film), renforcées par une petit musique entêtante, le présent et le futur se mêlent, des rêves s’imbriquent les uns dans les autres, et la réalité n’a progressivement plus prise. La répétition devient ici un véritable art, visant à mieux bousculer et égarer le spectateur, aussi attentif soit il. En cela, plusieurs visionnages ne devraient pas être un luxe, tant le plaisir est grand. Ceci d’autant que le scénario s’amuse à balancer quelques, envers le métier d’acteur (son Dali dira « personne n’est comédien, c’est un métier qui n’existe pas), celui de producteur (interprété par Romain Duris, il est ici prêt à mettre « plus d’argent » dans le projet de documentaire, à condition que la journaliste se fasse « plus sexy ») ou même celui d’artiste (alors qu’il pellote les seins de la maquilleuse : « ce n’est pas grave, c’est un artiste »), qui paraissent forts d’actualité. S’inscrivant quelque part, par la critique du détachement de l’artiste de la réalité, dans une sorte de continuité de son film précédent, "Daaaaaali !" aligne les répliques biens senties et constitue un film bougrement ludique.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur