CURIOSA
Curieux, ça…
Amoureuse du poète Pierre Louys, la belle Marie de Héredia se retrouve un jour contrainte d’épouser Henri de Régnier afin d’éponger les dettes de son père. Le jour où elle retrouve Pierre au hasard d’une rencontre, les sentiments reviennent d’autant plus fort que Pierre, érotomane et photographe, l’invite à vivre une véritable initiation à l’érotisme…
L’histoire de "Curiosa" est une histoire vraie – il est important de le préciser. Même si, en fin de compte, Lou Jeunet s’est autorisée un certain nombre de liberté. Sa démarche tombe même pile poil en ces temps de revendications féministes : évoquer la place de la femme dans une société du 19ème siècle marquée par le conformisme ambiant et le compartimentage des sexes. Le parcours de cette héroïne – très courageusement incarnée par une Noémie Merlant qui n’a pas eu froid aux yeux – est celui d’une femme libre qui entame une liaison initiatique à des fins émancipatrices, loin des préjugés bourgeois – ce qui l’amènera à publier en 1903 un roman intitulé L’inconstante. Sauf que le sujet, comme l’indique le titre et l’affiche, est bel et bien les « curiosa », terme latin désignant des œuvres d’art (surtout des livres ou des photos) à fort contenu grivois, libertin, voire même pornographique. Devant l’objectif de Louys, Marie se laisse donc photographier dans toute sa nudité et entame une série de jeux érotiques très raffinés, parfois en compagnie de la maîtresse algérienne de Louys (jouée par Camélia Jordana).
On sent ici l’ébauche d’un sujet intéressant : la quête libertaire d’une femme via un mode d’expression qui en fait autant un vecteur de revendication féministe qu’un simple objet de fétichisme – Louys collectionne ici les modèles jusqu’à les consigner dans un cahier. Mais à l’écran, à part pour illustrer son scénario de la façon la plus schématique possible, rien n’est clair dans la mise en scène de Lou Jeunet. Aucune réflexion n’est entamée sur la question de l’image et de la représentation du corps, si ce n’est une poignée de plans érotiques qui ne dégagent qu’une sensualité de papier glacé, aujourd’hui sans réelle valeur subversive – à la grande époque d’"Emmanuelle", ça pouvait faire effet, mais aujourd’hui… Aucune audace dans son découpage, si ce n’est la présence d’une belle musique électro signée Arnaud Rebotini (récemment césarisé pour "120 battements par minute"), laquelle installe un décalage anachronique assez constant avec l’action filmée et que la réalisatrice ne semble jamais désireuse d’embrasser, à tel point qu’on en vient souvent à s’interroger sur l’époque réelle à laquelle le film se déroule.
En fin de compte, "Curiosa" s’impose en curieux objet à mi-chemin entre le devoir d’école appliqué et l’audace formelle timide, qui n’ose jamais franchir le pas d’un sujet sulfureux et subversif. Sur les choses mêlées du corps et de l’esprit, le grand film féministe que l’on attendait n’est en tout cas pas au rendez-vous.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur