CRY MACHO
Le vieux coq chante encore…
Star déchue du rodéo, Mike se voit contraint d’honorer une dette envers son ancien employeur en acceptant une mission délicate : retrouver au Mexique un adolescent turbulent – le fils de ce dernier – et le ramener au Texas. Mais cela va l’amener à se frotter à la pègre mexicaine, à la police des frontières, ainsi qu’à son propre passé…
Plus Clint Eastwood fait des films, plus son âge avancé nous donne l’impression d’assister à chaque fois à un nouveau bilan de santé. Et quand bien même le talent de notre nonagénaire préféré n’aura souffert d’aucune contestation sur la décennie précédente (à un navet près), l’auteur de ces lignes se doit d’apporter une précision tout à fait subjective. Lors de la sortie de "Gran Torino" en 2008, le spectre du film-bilan crevait l’écran pour des tas de raisons. Citons-en deux : d’une part, le retour de Clint à un personnage constituant la plus parfaite synthèse de ses anciennes incarnations badass (du genre "L’Inspecteur Harry" ou "Le Maître de guerre"), et d’autre part, la perception immédiate d’un récit moins vénère que funèbre, conduisant peu à peu une icône mythique du 7ème Art vers l’abîme (lorsque le film démarrait sur une messe funéraire, on savait déjà que Clint finirait au fond du cercueil à la fin).
A ce moment-là, on pressentait que si Clint allait continuer sa carrière, ce serait uniquement en tant que réalisateur, avec cette idée que "Gran Torino" constituerait l’adieu rêvé à sa carrière d’acteur. Il aura fallu attendre plusieurs années pour que "La Mule" – opus très louable au demeurant – vienne contredire cette lecture et nous compliquer quelque peu la tâche. Pourquoi se mettre encore en scène ? Où se dirigeait réellement Clint une fois sa neuvième décennie entamée ? A vrai dire, "Cry Macho" n’apporte pas d’autre réponse qu’un haussement d’épaules de la part d’un artiste qui continue de dérouler une carrière digne d’être qualifiée de « force tranquille ».
Film jumeau de "Gran Torino" à plus d’un titre, "Cry Macho" décline à nouveau la mélancolie d’un Clint hanté par la vieillesse et travaillé par le souci de transmission envers la génération suivante – sa relation amicale et quasi filiale avec un jeune garçon est ici de nouveau l’épicentre du récit. Quand bien même le bonhomme n’a pas écrit le scénario (et cela se sent un peu, à vrai dire…), la patte du cinéaste s’y ressent, dans la douceur infrasensible de son filmage, dans la délicatesse de son découpage, dans la pureté de sa bande originale (où la guitare se mêle à des sonorités mexicaines), et dans l’humanité teintée d’ironie qui continue de caractériser une tête d’affiche qui nous semble toujours aussi familière.
On le sent même désireux de se la jouer poil à gratter politique au détour de quelques considérations bien senties sur le Mexique, ou d’un Dwight Yoakam ultra-texan chez qui le rapport familial n’est lisible qu’au travers d’un rapport de propriété capitaliste (toute ressemblance avec un célèbre ex-président ricain n’est sûrement pas fortuite…). Sans oublier de très jolis moments de stase et de pause, où l’humanisme prend racine dans des liens chaleureux et empreints de pureté qui finissent par supplanter la trame centrale – mention spéciale à ces délicieuses scènes de danse romantique avec une barmaid mexicaine.
Pour autant, ne nous le cachons pas, ce Clint-là reste un opus mineur, déroulant une partition assez cousue de fil blanc et n’évoluant pas trop en dehors d’une partition linéaire. Pas très subtil pour ce qui est de la police (forcément corrompue) ou des cartels (forcément menaçants), le regard de Clint sur la société mexicaine n’échappe pas aux clichés, de même que sa langueur narrative se teinte ici et là d’une pointe de flemmardise, comme s’il laissait tout couler de source sans s’encombrer d’une quelconque direction d’acteur – les seconds rôles prennent ici un peu cher. Et quand le récit s’achève sur une impression de sérénité absolue par rapport à une menace pourtant loin d’être effacée, on en vient à se demander si les scénaristes n’avaient pas eu l’intention réelle de bâcler leur climax.
Pour ces raisons-là, "Cry Macho" ne sera en fin de compte qu’un Clint estimable à défaut d’être mémorable – il vaut mieux réduire son taux d’attente pour éviter la déception. Mais on s’en contentera d’autant mieux qu’en plus d’assimiler le film au rodéo d’un vieux papy (ce qui est assez touchant en soi), il est sauvé par ce qui justifie son titre : un coq nommé Macho que se trimballe le jeune adolescent mexicain, et qui, au fil du voyage, surgira toujours au moment opportun pour botter le destin en touche. On a bien compris l’effet de miroir : à 91 ans, il est clair que le vieux coq chante toujours, qu’il sait encore se battre et qu’il ne pleure pas. Pour la tombe, il attendra donc encore un peu.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur