COUP DE THÉÂTRE
Whodunit méta pour film bêta
Londres, dans les années 50. Le réalisateur Leo Köpernick est brutalement assassiné un soir de représentation de la pièce de théâtre, signée Agatha Christie, dont il devait lui-même signer l’adaptation sur grand écran. Le whodunit passe de la scène à la réalité, forçant ainsi un inspecteur de police et sa jeune coéquipière cinéphile à mener l’enquête et à interroger les suspects…
Entre des répliques qui sonnaient trop forcées, des effets-chocs qui paraissaient peu subtils et des cadres symétriques qui faisaient rejaillir l’influence de Wes Anderson un photogramme sur deux, c’est peu dire que la bande-annonce de "Coup de théâtre" inspirait la plus grande méfiance. Laquelle se cristallise sur à peu près toutes les composantes d’un énième prototype de cette curieuse résurgence du whodunit à la Agatha Christie. À un détail près, fondamental en soi : l’autrice des "Dix petits nègres" est ici un personnage du film, et les règles narratives qu’elle aura su définir dans ses livres vont être ici l’objet d’une refonte métatextuelle qui va s’efforcer d’abattre le quatrième mur et de jouer avec le spectateur. De quoi espérer autre chose que le génialissime Cluedo satirique et sarcastique que Rian Johnson avait élaboré avec "À couteaux tirés", ou même que les enquêtes ronflantes d’un Kenneth Branagh grimé en moustache d’Hercule Poirot ? On l’espérait, à vrai dire. Mais en l’état, l’humour et la distanciation dont fait preuve cette production Disney – Searchlight Pictures ne font que démontrer à quel point la démarche méta ne trompe plus personne (qui a dit "Matrix Resurrections" ?), à quel point elle semble devenue un prétexte flemmard pour contourner un manque cruel d’inventivité, et que cocher les cases d’un genre pour mieux les ridiculiser est signe d’un cynisme qui ne fait même plus rire.
D’entrée, on pige ce qui coince : d’abord la voix off (elle surligne et paraphrase tout, même plusieurs fois de suite au cas où on n’aurait pas compris), ensuite les dialogues (idem mais avec un jeu d’acteur outrancier qui s’avère fatal). Et quand le concept consiste à laisser les acteurs stabiloter verbalement chaque intention symbolique de la mise en scène (que ce soit la disposition d’un cadavre sur un canapé ou l’interprétation trop hâtive d’une ressemblance physique), on sait déjà que le whodunit à suivre sera moins narré par l’image que raconté à voix haute. En fait, "Coup de théâtre" ressemble à un livre dont on nous lirait (et tournerait) les pages sans le moindre effort. On sent la présence d’un auteur malhabile qui préférerait forcer la connivence par un avertissement répété d’entrée deux fois (« Ceci est un whodunit : quand vous en avez vu un, vous les avez tous vus ») pour mieux nous forcer à en tricoter les ficelles usées, à ceci près qu’il se plante comme un bleu à force de nous les exhiber trop frontalement et à ne pas les tordre suffisamment (le « coup de théâtre » final ne vaut pas tripette à côté de celui du "Crime de l’Orient-Express"). Quant au regard grinçant sur le show-business, il faudrait bien plus qu’un troupeau de stars efféminées à la Baz Luhrmann pour prendre l’artifice à son propre piège.
De ce fait, que retenir à force de patauger en compagnie de clichés qui pataugent eux-mêmes dans les ruines de leur genre ? Tout simplement une mise en scène plus démonstrative tu meurs, via laquelle Tom George (à qui l’on devait la série comique "This Country") semble avoir confondu le post-modernisme et le je-m’en-foutisme. Son monteur semble avoir un peu trop forcé sur la verveine, ses acteurs ressemblent à des mannequins de vitrine sur lesquels on aurait posé de luxueux costumes pour téléfilm BBC (il n’y a que Saoirse Ronan qui s’en sorte à peu près intacte par un jeu candide et subtilement décalé), et son usage intempestif du split-screen (ici pour servir d’effet de transition vers un flash-back… sauf que pas toujours !) dans des intérieurs couleur pastel prouve à quel point décalquer la scénographie millimétrée de "The Grand Budapest Hotel" a le chic pour dévoiler la culpabilité des mauvais roublards. Inutile donc d’ouvrir l’enveloppe : on sait dès le début qui a tué (le film).
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur