COUP DE CHANCE
Un récit à perdre Allen ?
Mariée à un homme riche, Fanny semble avoir tout ce qu’il lui faut pour être heureuse. Mais son quotidien est bouleversé par une rencontre : un écrivain qu’elle a connu au lycée et qui lui avoue qu’il était – et est toujours – fou amoureux d’elle…
Après avoir tourné en France tout ou partie de trois de ses films ("Tout le monde dit I love you", "Minuit à Paris" et "Magic in the Moonlight"), il était peut-être temps que Woody Allen – qui a régulièrement bénéficié d'un meilleur accueil chez nous que dans son propre pays – réalise un film à la fois en France et en français. Même si la production est britannique, voilà chose faite avec son cinquantième (et peut-être dernier ?) long métrage.
Si "Coup de chance" ne sera pas à classer parmi ses chefs-d’œuvre et s’il peut partiellement apparaître comme une variante parisienne de "Match Point" (sur fond d’infidélité et de désir chez les riches, on flirte parfois avec la redite), on aurait tort de remiser cet opus au rang d’œuvre mineure.
Il faut toutefois un certain temps pour plonger dans ce récit, tant il semble incongru d’entendre parler seulement français dans un Woody Allen, d’autant que le jeu ne brille pas par son homogénéité, comme si le cinéaste américain avait été incapable de cerner la justesse de ses interprètes à cause de la barrière de la langue. La bande-son jazz peut également laisser perplexe, car elle peut paraître trop new-yorkaise pour un récit se déroulant à Paris.
Néanmoins, la variation sur le thème de la chance tient en haleine, tout comme les réflexions sur la « femme-objet » qu’incarne très bien la captivante Lou de Laâge, ou encore l’utilisation de la chasse à la fois comme métaphore et comme ressort de l’action. On se surprend aussi à chercher ce qui pourrait bien nous surprendre dans un récit apparemment cousu de fil blanc. Finalement, l’apparente simplicité du scénario n’est qu’un trompe-l’œil qui sied bien aux personnages embarqués dans un jeu de dupes, et le public lui-même aura du mal à deviner la chute.
Côté interprétation, le jeu souvent très théâtral ne fait que renforcer le discours sur l’honnêteté et les apparences, et on se dit que la comparaison récurrente entre François Ozon et Woody Allen est définitivement pertinente. Ainsi, on prendra notamment plaisir avec le personnage de Melvil Poupaud, mari à la fois prétentieux, superficiel, possessif et cynique, que tout contribue progressivement à rendre ridicule et antipathique, au point d’en faire l’incarnation d’une insolite beaufitude fortunée (par exemple avec sa niaise métaphore du tunnel pour devenir un autre homme lorsqu’il explique une anecdote de son enfance tout en montrant de manière ostentatoire le train électrique qu’il s’est offert). Notons également la présence de Valérie Lemercier, géniale en mère passant de l’admiration à la suspicion, ou plus secondairement de Grégory Gadebois et Juliette Plumecocq-Mech en duo de détectives privés, et de Sâm Mirhosseini en homme de main un peu bêbête – des protagonistes de second plan qui participent à l’aspect burlesque du film.
Le tout forme finalement un polar aigre-doux où la malice parvient à rehausser les impressions ponctuelles de fautes de goût ou de paresse, jusqu’à sa réjouissante conclusion.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur