CLARA SOLA
Le réalisme magique au service du désir féminin
Vivant avec sa mère et sa nièce dans une ferme isolée d’Amérique latine, Clara, une quarantenaire atteinte de troubles mentaux et comportementaux, ne voit pas les choses comme tout le monde et développe une relation particulière avec la nature…
Le premier long métrage de la réalisatrice suédo-costaricienne Nathalie Álvarez Mesén peut apparaître comme une façon originale de traiter des superstitions, par le double biais du handicap et du fantastique. Jamais trop frontal dans sa critique des superstitions chrétiennes, ce film ne juge finalement personne et a même tendance à propose une saine vénération de la nature, quasi animiste – une forme de spiritualité plus libre et moins jugeante qu’une religion instituée.
Mais finalement, ce n’est pas vraiment le sujet ! Car il s’agit surtout de parler de l’émancipation des femmes dans une société imprégnée par des normes culturelles et religieuses paternalistes que beaucoup de femmes suivent et reproduisent sans se poser de questions – il y a d’ailleurs peu de personnages masculins dans ce film et le seul homme important du récit ne correspond pas forcément aux stéréotypes du mâle dominant et toxique.
Or, comme les inégalités femmes-hommes sont absurdes, pourquoi ne pas les renverser en optant pour le réalisme magique ? Le personnage-titre a quelque chose de ces sorcières devenues récemment des symboles majeurs du féminisme. Sans révéler certaines scènes clés, Clara Sola a aussi un rien de la "Carrie" de Stephen King (ou son adaptation cinématographique par Brian De Palma).
Personnage attachant et brillamment incarné par Wendy Chinchilla Araya (l’intensité de sa présence corporelle doit sans doute beaucoup à son expérience de danseuse), Clara Sola devient une figure inspirante qui s’épanouit dans une nature luxuriante symbole de liberté. Elle personnifie (ainsi que sa jeune nièce de 15 ans) l’affirmation d’un désir féminin trop souvent refoulé ou réprimé, le film insistant à plusieurs reprises sur la masturbation, qui reste un tabou culturel récurent. Plus largement, le toucher est un sens central dans ce long métrage, avec notamment de nombreux et magnifiques plans sur les mains.
"Clara Sola" n’hésite pas à affirmer l’animalité du désir, qui pousse presque Clara au viol de l'homme qu'elle désire (dans ce sens-là, on n’a peu d’exemples antérieurs au cinéma, outre "Jacky au royaume des filles"). L’idée n’est évidemment pas de clamer qu’un viol commis par une femme serait plus acceptable que celui commis par un homme. Mais cette désinhibition totale de l’héroïne permet d’une part de clamer une égalité femmes-hommes pleine et entière (balayant le mythe selon lequel les femmes auraient moins de désir sexuel que les hommes) et d’autre part de renverser un tant soit peu le rapport de domination habituel. Charnel et ardent, ce film est une expérience qui marque durablement.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Clara Sola | Trailer | Pacífica Grey from Pacífica Grey on Vimeo.