CHROMOPHOBIA
Un ballet aux personnages multiples, aussi glacial que captivant
A la vision de son Chromophobia, force est de constater que Martha Fiennes sait installer une ambiance, à base d’apparences lisses mais trompeuses et d’une utilisation visuelle de l’architecture, judicieuse et oppressante. Ici, la maison du couple vedette est d’une modernité effrayante, avec ses parois blanches interminables, à l’image de leur vie immaculée. Les galeries de la City (Londres), surchargées de déco, se mêlent aux bâtiments symboles de modernité et d’affairisme (l’ogive de Foster, dite tour Suisse). Tout cela forme un univers aseptisé dans lequel évoluent ses personnages. La réalisatrice prend un temps nécessaire pour nous faire découvrir ce monde, même si certains reprocheront du coup, quelques longueurs dans la narration.
On assiste ici, à un film choral, qui ferait presque penser à « Love actually », la gravité en plus, tant les personnages sont nombreux, et leur interactions finement amenées, entre histoires de trahisons, et déchéance annoncée. Dans ce monde, les relations familiales et amoureuses sont inconsciemment perverties par le pouvoir et l’argent. Martha Fiennes réussit à tisser une toile de fond troublante, menant à la peinture d’un milieu, aussi terrifiante que juste. Le personnage principal se rend compte de ce à quoi il a renoncé au cours de sa courte vie (symbole de la guitare), même s’il se permet quelques petits arrangements avec sa moralité, bien mis en évidence par une mise en scène discrète.
Cependant, les tenants et aboutissants des histoires d’argent, de pouvoir, et de malversations restent assez obscurs. On saisit globalement l’étendue de ces compromissions même si cette Chromophobia aurait pu être plus politiquement engagée. Autre défaut, le foisonnement de personnages, dont les devenirs ne sont pas assez développés (l’assistant social – Rhys Ifans, la prostituée - Penelope Cruz, le parrain gay – Ralph Fiennes…), finit par nuire à la clarté et à la bonne tenue de cette intrigue. Dans cet océan de personnages, seul le rôle du gamin, perdu dans son monde inaccessible, trouve sa légitimité comme catalyseur des problèmes des adultes.
Des choix musicaux de qualité sont à souligner, même s’ils sont parfois utilisés aux mauvais moments, comme c’est le cas pour le morceau de David Bowie, (We could be) « heroes ». Signalons enfin, aux côtés d’une Kristin Scott-Thomas parfaite comme à l’habitude, la véritable révélation du film, le formidable Damian Lewis, également présent dans Keane, émouvant de sincérité et de crédulité face à des valeurs qui tendent à disparaître.
Rémy MargageEnvoyer un message au rédacteur