CHILD'S PLAY : LA POUPÉE DU MAL
Peut-on rester créatif à l’ère du cinéma d’exploitation ?
Un ouvrier maltraité détraque une poupée Buddi connectée avant de se suicider. Envoyée dans un supermarché américain, celle-ci finit dans les mains d’un jeune garçon qui en fait son nouveau meilleur ami. La poupée fera alors tout pour satisfaire son propriétaire et éloigner ses ennemis, au point de se transformer en serial-killer miniature…
"Psychose", "L'exorciste", "Massacre à la tronçonneuse", "Halloween", "Amityville", "Alien", "Vendredi 13", "Nightmare on Elm Street", "Children of the corn", "Hellraiser", "Hannibal Lecter", "Scream", "Saw"… Le cinéma d’horreur et le slasher en particulier sont frappés de plein fouet depuis des années par la maladie des suites interminables, constituant ainsi des sagas qui se poursuivent ad nauseam pendant des années. Phénomène annoncé par la série des "Dents de la mer" (4 films depuis 1975), qui surfait à la fois sur le succès d’un triomphe au box-office, mais aussi sur l’impact culturel d’un chef-d’œuvre, on ne sera pas étonné de constater qu’il perdure à l'époque du règne absolu du cinéma d'exploitation. Si cela ne date donc pas d'hier, il ne faut pas oublier qu'avant les années 70 et 80 le concept même de suite était rare au cinéma. Aujourd'hui deux projets issus des majors américains sur trois sont des remakes, spin-off, suites, séries, déclinaisons de comics ou de jeux vidéo… La majeure partie du « travail artistique » des studios consiste donc à trouver des formules pour pouvoir multiplier les profits engendrés sur des produits préfabriqués de manière industrielle. La création originale s'amenuise progressivement, car elle constitue désormais un risque financier pour les studios dans la mesure où le succès est incertain. Ils sécurisent donc leurs investissements avec des stratégies marketing de long terme qui privilégient les films ayant déjà fait leur preuve et en rééditant sans cesse les recettes établies. Le dernier "Chucky" est lui aussi le fruit de cette logique mercantile, sans âme, qui s’étend imperturbablement sur le cinéma américain, mais il semble en avoir conscience au point de chercher à le dénoncer implicitement.
On ne s'y attendait pas, et pourtant, "Child’s play" est un film politique et engagé. Il dénonce les dérives du capitalisme mondialisé et ses hypocrisies. Une grande entreprise américaine met au point des technologies très avancées en mettant en avant ses objectifs humanistes alors qu'elle les fait fabriquer dans des usines délocalisées par des ouvriers travaillant dans de très mauvaises conditions. Le nouveau Chucky est une poupée Buddi (le nom de son modèle) conçue par une société typique de la Silicon Valley (la Kaslan Corporation) et montée dans une usine vietnamienne par un employé qui se fait maltraiter par son patron. Celui-ci décide alors de dérégler la poupée, retirant toutes les sécurités de son intelligence artificielle avant de se suicider. Le discours est donc sans ambiguïté : Chucky est envoyé en Amérique pour venger le tiers-monde de son exploitation économique. Au-delà, on pourrait également y voir la métaphore de ces productions de films en série, tournés pour de mauvaises raisons. Le film "Child’s play" serait alors saboté par son réalisateur pour lancer un message aux spectateurs.
Cette scène permet certes de donner un argument et un message séduisant à l'histoire, mais elle manque scénaristiquement de crédibilité, tout en frisant le ridicule. On a du mal à comprendre en quoi le fait d'envoyer une poupée défectueuse à l'autre bout du monde permettra de venger l'ouvrier. C'est un enfant qui en sera victime et non pas le « système », l'entreprise ou son patron. Bien sûr les répercussions de l'affaire risquent d'impacter les fabricants, mais cela repose tout de même sur l'idée de sacrifier un enfant qui en sera la première victime. D'autre part il est assez étonnant de constater qu'il est si facile de retirer toutes les sécurités de la machine sans qu'aucun contrôle ne soit effectué. Cela suggère aussi que les robots Buddi sont dès le départ programmés pour nuire dès lors qu'il suffit de retirer leur sécurités pour qu'ils dysfonctionnent. Dès lors, on peut comprendre qu'ils ne dysfonctionnent pas en réalité, mais simplement qu'ils fonctionnent normalement. Pourtant on peut noter que le robot manifeste des signes de dérèglement après l'intervention de l'ouvrier, alors que son système n'a pas été endommagé, il n'est simplement plus « sécurisé ». Ces bugs ne sont pas justifiés en réalité, ils visent simplement à accentuer visuellement l'anomalie du robot, ce qui est inutile dès lors que ses yeux virent au rouge pour annoncer son changement de comportement. Une possibilité technique qui n'est pas non plus justifiée. Pourquoi les fabricants auraient-ils prévu que les yeux puissent devenir rouge ? Cela suppose une programmation préalable qui n'a pas lieu d'être, à moins que le Buddi détraqué soit une option intégrée secrètement à la machine.
Le film ne critique donc pas seulement un système de production, mais également son produit, en l’occurrence ici ses technologies. Il évoque la place grandissante qu’elles occupent dans notre quotidien et les conséquences que cela peut avoir. Elles finissent par constituer un palliatif malsain à nos problèmes d’intégration dans la société qui nous entoure. Pour élargir son discours et le moderniser, la trouvaille est donc de faire de Chucky une poupée connectée qui peut contrôler à distance tous les produits issus de la marque Kaslan. Mais il s’agit avant tout d’un « fanmovie » constituant un gigantesque hommage au cinéma des années 80 et 90. La photo du film et son ambiance font d’ailleurs immédiatement penser à la série "Stranger Things" de Netflix qui partage la même ambition. "Child’s play", avec sa bande de copains qui s’organisent seuls pour affronter un danger fantastique, pourrait être une production Amblin de la grande époque, un cousin lointain des "Goonies", "E.T." et autre "Explorers". Par ailleurs est-ce un hasard si l’acteur principal, Gabriel Bateman, ressemble tant au petit Joseph Mazzello de "Jurassic Park" ?
Mais Spielberg n’est pas le seul convoqué, son amis Lucas est lui aussi présent, mais de manière moins subtile : au début du film le gamin tente de baptiser son jouet Han Solo, alors même que celui-ci est doublé par Mark Hamill (alias Luke Skywalker)… Une foire aux références annoncée par la campagne publicitaire du métrage qui mettait en scène le meurtre des jouets de "Toy Story" par Chucky ! La citation devient même un ressort narratif lors du moment déterminant où la poupée apparaît pour la première fois de façon menaçante à l’égard d’un personnage. En effet elle prend l’idée d’utiliser un couteau pour poignarder un garçon après avoir regardé le film "Massacre à la tronçonneuse 2" (Tobe Hooper - 1986) à la télévision. La jonction Spielberg/ Tobe Hooper sera d’ailleurs faite, puisque "Poltergeist" (1982) sera également évoqué lorsque le héros décidera de frapper un écran de télé brouillé avec une batte. Un plan qui montre le chemin parcouru depuis 1982 et l’image de la petite Heather O’Rourke posant les mains sur son écran de télé, hypnotisée en pleine nuit par ses grésillements.
Nous sommes aujourd’hui en plein remise en cause de l’impact de la technologie sur les jeunes générations, ce qui aboutit ici à une scène d’attaque des appareils électroniques d’un supermarché contre ses clients. On pense alors à un autre film d’horreur utilisant le contexte du supermarché pour développer un discours politique sous-jacent : "Zombie" de Georges Romero. Tandis que le héros, pour contre-attaquer, s’arme avec un énorme couteau et une cisaille électrique, tel Ash avec son fusil et sa tronçonneuse dans "Evil Dead". Un foisonnement de références pour fanboys qui passe même par le "Braindead" de Peter Jackson lors d’un meurtre avec une laboureuse et qui s’achève avec un final qui fait classiquement passer Chucky pour une sorte de "Terminator" increvable.
Mais le principal intérêt du film ne réside pas là. "Child’s play" est une bonne surprise en raison de sa mise en scène et de ses choix esthétiques. Commençons par le commencement : le nouveau design de la poupée Chucky, qui avait assez peu évolué depuis sept films, est une vraie réussite. Les yeux, et surtout la forme de la bouche installent dès le départ une ambiguïté sur la « personnalité » du petit monstre. Son expression crée naturellement un malaise, ce qui rend sa présence subtilement inquiétante. Le réalisateur parvient ensuite parfaitement à gérer son temps de présence à l’écran et sa place dans le cadre, en fonction de l’évolution de ses rapports avec le petit garçon. Il joue habilement avec les éléments du décor, le clair-obscur et les effets sonores, pour doser ses effets et faire monter progressivement la tension. En revanche son défaut majeur est sa dernière partie, qui commence après la crise au supermarché. On sent clairement que le cinéaste ne savait pas comment terminer son film. Les dernières scènes n’ont plus la moindre originalité. Leur écriture et leur esthétique sont dignes d’un téléfilm d’horreur sans budget, d’un Wes Craven ou Tobe Hooper en fin de course. Comme quoi la citation n’a pas de limite.
David ChappatEnvoyer un message au rédacteur