THE CHILDREN
Les enfants sont formidables
Les premières minutes de « The Children » pourraient quasiment être celles d’une comédie un peu puérile sur le malheur d’emmener ses enfants en séjour à la campagne : ils causent trop, pleurent trop, vomissent trop, et n’acceptent jamais d’aller se coucher quand l’heure est venue. En outre, l’adolescente du groupe, Casey, est en pleine crise, parce qu’elle aurait aimé se rendre à une importante soirée avec ses amis, et surtout parce qu’elle est ado, et qu’un ado de cinéma est là pour ennuyer son monde.
Le cauchemar vécu par ces deux familles pourrait alors rester purement sociologique, sur le thème « J’aurais dû laisser mes gosses à la maison avec une baby-sitter », et ne se transformerait pas en carnage sanglant. On serait en fait dans un film français. Manque de chance, voici une production anglaise, et les anglais ne rigolent pas avec les genres filmiques, ni avec les enfants (pour preuve : Jack Clayton, réalisateur des « Innocents », était Anglais ; Nicolas Roeg – « Ne vous retournez pas » – aussi ; et John Wyndham, auteur du livre « The Midwich Cuckoos » dont furent adaptées les deux versions du « Village des damnées », tout autant).
Pour peu qu’on se laisse prendre au jeu, c’est-à-dire qu’on accepte pleinement la thèse de départ, très crédible par ailleurs, à savoir qu’un mal mystérieux touche les enfants en bas âge qui se retournent alors violemment contre leurs parents, « The Children » devient rapidement un véritable cauchemar. La tension et l’inquiétude véhiculées par cette extraordinaire troupe de gamins font froid dans le dos ; chaque regard, chaque geste, le moindre comportement inhabituel nous sautent aux yeux et nous serrent le cœur. Les enfants sont juste assez angoissants pour qu’on les craigne, les parents juste assez sympathiques pour qu’on les plaigne. Dans cette atmosphère de « Malédiction » où les « Innocents » prennent le pouvoir, où les références cinématographiques assumées par Tom Shankland ne sont pas de trop pour jouir encore un peu plus du spectacle, l’isolement géographique des familles n’est pas seulement une pirouette scénaristique de plus : l’isolement, c’est le sujet même du film.
Isolement des parents face à une situation insurmontable. Isolement des enfants qui deviennent, dans leur délire sanglant, des autistes sociopathes. Isolement du spectateur, entièrement dirigé vers cette débauche de mauvais sentiments, incapable de trouver des référents réalistes. Quels référents ? Voyons, c’est que les enfants n’attaquent pas les adultes, a fortiori encore moins leurs propres parents. C’est cette évidence, avec laquelle joue le metteur en scène, qui nous laisse incrédules jusqu’au bout sur la suite des événements – car cela « ne peut pas arriver ».
Une fois que les enfants se déchaînent, une fois qu’ils se lancent dans leur jeu meurtrier – séquences pour le moins pénibles – on est bien obligés d’y croire, mais la pulsion grégaire qui traditionnellement nous pousse à désirer la vengeance des héros – comme dans tout slasher ou tout film de revanche – ne fonctionne pas ici… Parce qu’on ne tue pas les enfants, tout simplement. On ne tue pas l’innocence, même quand elle n’en a plus que le visage seulement.
La plus belle idée du film : ce décor enneigé dans lequel l’action se déroule. Car la neige, imperturbablement, finit toujours par recouvrir les traces des méfaits que les hommes ont commis, faisant disparaître sous son voile blanc les empreintes du mal, laissant après-coup une surface vierge sur laquelle de nouvelles atrocités peuvent se déchaîner. Éprouvant.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur