CHE 1 – L’ARGENTIN
POUR: Niveau +3 - Plus qu’une chronique de guerre, un portait intime…
Avec ce projet très ambitieux, Steven Soderbergh a pris de gros risques. Financiers d’abord: aucun studio américain n’a voulu mettre un dollar dans son entreprise. Tous les fonds sont finalement européens et la distribution de son film sur le territoire US n’était même pas certaine au moment de commencer le tournage. Artistiques ensuite : se lancer dans le récit de la vie du Che, saint patron des résistants, c’est risquer de tomber dans l’hagiographie ce que le réalisateur a refusé et réussi grâce à deux volets, de presque 2 h 15 chacun, où deux facettes différentes sont successivement présentés d’abord sur la force de l’homme puis sur les limites de son idéal socio-politique.
En outre, Soderbergh a entièrement tourné son diptyque en espagnol, se privant d’une large diffusion américaine. Il n’y avait bien que le réalisateur ambidextre de « Sexe, mensonges et vidéo » et « Ocean’s Eleven » pour se lancer dans ce projet fou qu’il couve depuis le tournage de « Traffic » (2001), lorsqu’il a remarqué une ressemblance physique troublante entre Benicio Del Toro et le Che.
Et effectivement la ressemblance est impressionnante. Mais là n’est pas le plus important, ce qui trouble davantage c’est la capacité de Benicio Del Toro à incarner le Che et à faire émerger son humanité et son humanisme, ses rêves et ses ambitions en composant un homme à la fois simple et complexe, fragile et fort. Soit toute l’ambiguïté du « commandante ». Un prix d’interprétation cannois et une salve d’applaudissements ont mis en lumière un avis unanime sur une prestation qui fera date dans sa filmographie.
« Che – partie 1: L’Argentin » installe l’homme dans l’Histoire. Soderbergh fait de la macro en disséquant la personnalité du Che (docteur, soldat, photographe, meneur), tout en replaçant le combat que ce dernier mène dans le contexte historique d’alors. C’est une des grandes forces de ce film. Sur le fond, cette première partie reprend la classique montée de la révolution cubaine dans les années 50 et la mouvance créée chez les hommes, les femmes et les enfants de l’île. Egalement, elle analyse de manière plus originale l’organisation de ces camps de guerre et s’arrête sur l’ambiguïté de la relation entre Fidel Castro et le Che.
Sur la forme, Soderbergh fait des merveilles. Il alterne idéalement couleurs et noir et blanc, passé et présent. Il réussit brillamment à faire d’une chronique de guerre, un portait intime. Seul bémol, la musique d’Alberto Iglesias, le compositeur attitré de Pedro Almodovar, qui par moment ne colle pas du tout à l’ambiance du film et est bien souvent trop dramatique… Pour un film non-hollywoodien, on aurait imaginé moins grandiloquent.
Car Soderbergh, lui, évite tout sensationnel, héroïsme ou romantisme pour se concentrer sur la fureur : celle de la guerre et celle d’un homme en lutte contre la pauvreté, l’illettrisme et la corruption parce que, comme il le dit lui-même, « une population qui ne sait pas lire ni écrire est facile à manipuler ». Le film en ce sens prend une autre dimension plus universelle et malgré les controverses concernant l’homme (les tribunaux révolutionnaires sont d’ailleurs montrés), on comprend ses motivations, son idéal… C’est aussi cela le Che, un visionnaire qui s’est battu corps et âme pour ce à quoi il croyait.
Anthony REVOIREnvoyer un message au rédacteur