CHASSEURS DE TRUFFES
Un très beau documentaire entre tradition et transmission
Dans le nord de l’Italie, des hommes, accompagnés de leurs chiens, parcourent les forêts, à la recherche d’un ingrédient d’immense valeur : la truffe d’Alba. Celle-ci se vend en effet à prix d’or, entre chefs étoilés locaux, connaisseurs et marché mondial. Pourtant ces hommes, proches de la terre, vivent dans des maisons anciennes, loin de l’opulence, animant parfois de petites échoppes…
C’est à la découverte d’un microcosme tout entier que nous convient Gregory Kershaw, dont c'est le premier long métrage documentaire, et Michael Dweck, qui avait déjà réalisé "The Last Race" en 2018, film passé par Sundance. Labellisé Sélection Cannes 2020, ce documentaire réussit à embrasser l’ensemble des acteurs du marché de la truffe d’Alba, depuis les différents chasseurs dans les forêts du nord de l’Italie, jusqu’aux vendeurs ou aux experts en goût. C’est avec un réel plaisir que l’on découvre les relations entre un marché toujours plus avide et des chasseurs pour la plupart amoureux de la terre, des chiens qui les guident, et de cette quête incertaine qu’est la fameuse « chasse » à la truffe.
Avec un certain délice, on saisit leurs jeux de pouvoir comme leurs positionnements, certaines scènes évoquant au passage des figures mythique du cinéma, comme "Le Parrain", chacun surveillant son territoire, voire manipulant le concurrent lorsqu’il explique une pénurie passagère. Derrière l’enjeu de maintien d’une espèce, se joue aussi la question de la transmission d’un savoir, dont la forme est discutable, Aurelio, 84 ans, affirmant par exemple que montrer les endroits où il « chasse » serait comme permettre à son successeur de « tricher aux examens ».
Les rituels paraissent ici à la fois solennels et dérisoires (la présentation, le goûter, la négociation...), convoquant convoitise comme véritable amour d’un « objet » (ici un ingrédient) valant 4 500 € le kilo. Des fonctionnements en terme de réseau de chasseurs ou de contrôle de territoires évoquent les organisations des cartels ou de la mafia, règlement de compte inclus (empoisonnement de chiens...), tandis que le système de pesée et de vente rappelle le marché de la joaillerie. Pourtant, tout se déroule ici dans une ruralité affirmée, d’où l’argent semble bien éloigné.
Mais la richesse du documentaire, aux plans bucoliques captant un terroir en disparition, traduisant dès le premier plan l’infinie difficulté de la tâche (un homme avec deux chiens perdus dans l’immensité d’un coteau escarpé, recouvert de feuilles automnales…), réside dans les bribes de portraits livrés. Les personnages des chasseurs sont ici particulièrement attachants, de ceux qui considèrent leur chien ou chienne comme un membre de la famille, les laissant manger sur la table ou se baigner avec eux, à celui qui recloue la pancarte de fortune qui sert d’enseigne à sa minuscule échoppe, en passant par celui qui rejette le système, refusant de participer à un système qui met désormais en danger la nature et sa propre pérennité. Une galerie de personnages que l’on emporte avec soi une fois la séance terminée, avec l’envie chevillée au corps, non seulement de goûter à la truffe d’Alba, mais de fréquenter ces lieux et gens là.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur