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CHARLIE'S COUNTRY

Un film de Rolf De Heer

Plus que les traditions : la transmission

Charlie en veut aux Blancs depuis que les lois sont appliquées plus durement envers la communauté des aborigènes australiens. Le jour où il part à la chasse, la police lui confisque son arme. Il se confectionne alors une lance en bois, mais là encore, la police veille et la lui retire. Révolté, il décide alors de retourner dans la forêt à l’état sauvage…

Cannes en 2014 marque le retour de Rolf de Heer et David Gulpilil à Un Certain regard qui les avait couronnés en 2006 du prix spécial du jury pour le joli film "10 canoës, 150 lances et 3 épouses". Retour également dans le bush pour le réalisateur et son acteur fétiche qui dans "Charlie’s Country" auscultent la vie des Aborigènes australiens à notre époque, entre sur-protectionnisme de l’État et vie traditionnelle en péril. Un film qui repose entièrement sur les épaules de David Gulpilil, sacré meilleur acteur dans la section cannoise.

Charlie est un homme en fin de vie, un vieux roublard, digne représentant d’une communauté aborigène qui tout comme lui n’est pas au mieux de sa forme. Une communauté qui ne demande pas à suivre le rythme de la société voisine – celle des Blancs – mais qui s’y voit forcer, officiellement pour des raisons de sécurité. Le film interroge sur la perte des valeurs traditionnelles quand un État « oblige » un mode de vie à une population. Deux modes de vie antagonistes peuvent-ils co-exister sur un même territoire ? L’un doit-il contrôler l’autre ? Le sur-protéger pour le préserver ?

Les interdits sont en effet nombreux pour les indigènes du nord de l’Australie comme Charlie. Mais ce dernier s’en lave les mains et trouve toujours un moyen pour les détourner ou les braver, tel un enfant que les parents chaperonnent ! L’histoire s’amuse ainsi, dans des moments de pure comédie très réussis, à montrer Charlie « empruntant » la voiture des policiers, se confectionner une arme quand on lui retire son fusil, consommer de l’alcool juste derrière la zone interdite… ! Le film est un appel déchirant à la liberté et au respect des traditions et des héritages passés.

Le besoin viscéral de nature et de sauvage qui habite Charlie ne tarde donc pas à exploser. Il baisse ainsi les bras face à la Loi et l’Ordre, se rendant bien compte qu’il ne fait pas le poids. Mais il refuse en même temps ce mode de vie normé et décide unilatéralement de retourner dans la forêt pour vivre comme autrefois. « Le bush n’est-il pas un grand supermarché à ciel ouvert ? », se demande-t-il. Il se construit alors sa petite cahute, se met à peindre, à vivre de la pêche et de la cueillette. Mais cela répondra-t-il à ses attentes ?

Ce pays de Charlie est-il aussi idéal que cela ? Le film pose cette question dans un retour doux-amer aux traditions et aux modes de vie anciens. La solitude, la pluie et la maladie s’invitent en effet dans ce pays finalement désenchanté. Le message du film serait que si les traditions sont importantes, leur transmission l’est davantage. C’est donc optimiste mais avec un pincement au cœur qu’on sort de ce film. Une œuvre qui n’est pas sans rappeler, dans la narration, "Les Bêtes du sud sauvage", même si "Charlie’s Country" n’atteint pas la force du film de Benh Zeitlin.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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