LES CHANTS DE MANDRIN
Une liberté de ton, une simplicité de moyens
On peut saluer la liberté de création de Rabah Ameur-Zaïmeche, le réalisateur de « Wesh Wesh », « Bled number one » et « Dernier maquis », qui prend le cinéma pour ce qu’il est : un moyen de création artistique où tout peut être permis. L’objet filmique devient certes matière à raconter une histoire mais chez RAZ il devient aussi et surtout une œuvre d’art contemporaine assez déroutante.
Bien sûr, « Les Chants de Mandrin » est un film de cinéma. Il trouvera un public enchanté de voir un réalisateur sortir des sentiers rebattus par toute la classe cinématographique qui s’engouffre dans les reconstitutions au millimètre quand il s’agit d’un film historique. Il dérangera une autre partie des spectateurs, ceux qui n’y trouveront pas le spectacle traditionnel attendu.
À l’image des contrebandiers de Mandrin, RAZ et son équipe sont des contrebandiers du cinéma. Fous rires en plein tournage gardés au montage (dans le carrosse, avec le cheval…), oubli du texte par Nolot et intervention du réalisateur/comédien pour lui rappeler les paroles de la complainte de Mandrin conservé aussi au montage, phares de voitures dans le décor de nuit maintenus dans la version finale, etc. RAZ s’empare de tout ce qui intervient lors de son tournage, il filme beaucoup dehors, il capte la lumière naturelle, il utilise la forêt et ses arbres (un comédien grimpe vraiment), il filme le vent et les nuages qui sont balayés dans le ciel, il veut être au plus près de la réalité (il met sa caméra dans le carrosse en mouvement pour en saisir les moindres vibrations et chocs entre roues et cailloux), il n’utilise aucune musique si elle n’est pas jouée et montrée pendant que la scène est filmée… RAZ est en quelque sorte le dépositaire d’un dogme, comme les danois Von Trier et Vinterberg en avaient rédigés un au siècle dernier (initié avec respectivement « Les idiots » et « Festen » en 1998).
« Les Chants de Mandrin », en apparence un film historique, est davantage un film contemporain. C’est un peu le dogme du cinéma de la vérité et de la simplicité qui est fêté dans ce quatrième film du réalisateur franco-algérien. C’est aussi l’esprit de l’indépendance qui est célébré et qu’a certainement voulu distinguer le jury qui lui a remis l’an dernier le Prix Jean Vigo.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur