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CARNAGE

Un film de Roman Polanski

Des parents pas si bienveillants

Deux couples sont réunis, suite à l'agression de l'enfant de l'un sur le fils de l'autre. Alors que le but initial était de traiter le problème de manière civilisée et compréhensive, entre adultes, les discussions finissent par faire ressortir les vraies idées de chacun. Sensiblement, la tension et le ton montent...

Après avoir été jouée en France par Isabelle Huppert et Eric Elmosnino en 2008, la pièce de Yasmina Reza, « Le Dieu du carnage » s’est exportée à Broadway en 2009 avec une belle distribution (James Gandolfini, Marcia Gay Harden, Hope Davis). C'est, aujourd'hui, Roman Polanski qui choisit de l'adapter au cinéma, avec l'aide de la romancière elle-même, pour son premier projet après sa relaxe par les autorités suisses. Pour cela, il s'est entouré d'un casting quatre étoiles, qui est sans nul doute le principal intérêt de ce huis clos (entre appartement et couloirs), dont on ne sortira qu’à la fin, lors d'un plan montrant des enfants en train de jouer. Des enfants qui ne savent pas ce qu'est d'être adulte et de devoir défendre ses positions.

On se régalera donc des compositions des quatre artistes au diapason, prêts à s'étriper les uns les autres, d'abord pour défendre leur progéniture, puis leur vision de la vie ou du couple. Jodie Foster incarne une mère hystérique, à cheval sur de nombreux principes et désireuse de s'assurer que le petit des autres sera bien réprimandé... mais selon sa propre conception de l'éducation. Son mari, John C. Reilly (« Magnolia », « Cyrus »), bonne pâte, conciliant, s'avère surtout très fier de ses attributs de mâle, ayant lui même été « chef de bande ». Kate Winslet est une mère un peu coincée, qui culpabilise à s'en rendre malade et ne supporte plus le téléphone portable omniprésent de son mari, Christoph Waltz (« Inglorious basterds »), distant et hautain.

« Carnage » est joyeusement rythmé par les indignations et colères de ses quatre protagonistes, Polanski usant d'un sympathique comique de répétition pour désamorcer certaines tensions. Au fil des échanges entre les deux couples, les vrais intentions de chacun, mais aussi les frustrations et problèmes internes à chacun des couples, se font jour. Tous sautent sur le moindre détail pour dévaloriser l'enfant ou le couple des autres, espérant y trouver les signes d'un comportement agressif, ou un argument contribuant à sa propre défense. Ainsi les pères sont regardés comme des sauvages par leur femme, alors qu'ils avouent avoir fait partie de « gangs », « façon Ivanhoé ». Et quand on apprend que l'un des gamins jouait « Scrooge » au spectacle de l'école, l'indignation pointe son nez.

Les échanges sont donc un régal. Polanski se contente d'orchestrer le tout en offrant quelques respirations (sortie sur le palier pour un départ espéré ou isolement des couples dans la salle de bain ou le salon), histoire de permettre quelques apartés. Les alliances initiales (les couples) se défont pour en former de nouvelles (les femmes face aux hommes, puis en « couples croisés »), permettant de mettre en avant les divergences de points de vue que ce soit sur l'éducation ou la civilisation. Une intimité involontaire se forme, chacun dévoilant nerveusement les failles de son couple, qu'elles soient visibles ou non, provoquant quelques railleries imparables (les petits noms que se donnent les amants entre eux : Doodle ou Darjeeling...).

Le spectateur, lui, s'amuse beaucoup, alors que le scénario traque les travers de la société moderne : dépendance aux technologies de la communication, exagérations protectrices (l'enfant a été égratigné ou défiguré, au choix), éducation laxiste, apprentissage difficile de la loi, implication caritative donnant bonne conscience (Jodie Foster se fait traiter de « Jane Fonda »...) ou fétichisme matérialiste (la scène des livres originaux sur lesquels vomit Kate Winslet...). « Carnage » est donc une vraie réussite, favori reparti bredouille du Festival de Venise 2011, ayant dans le fond, l'art et la manière de représenter les adultes comme bien plus nuisibles que leur progéniture, dont les conflits sont loin d'avoir la même complexité.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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