CAMPO DI BATTAGLIA
Deux visions opposées de la désertion
Stefano est médecin dans un hôpital militaire en 1918. Excédé par les automutilations que s’infligent certains pour échapper à un retour au front, il souhaiterait que ces actes soient sévèrement condamnés et n’hésite pas à renvoyer ceux qui lui semblent resquiller. Dans sa tâche il est accompagné de Giulio, un autre médecin et ami, qui n’a pas la même vision des choses, et va commencer à proposer son aide a certains patients pour rester à l’hôpital ou être renvoyés dans leurs foyers, ceci quitte à mettre leurs vies en danger…
"Campo Di Battaglia", nouveau long de Gianni Amelio ("L'Etoile imaginaire", "L'Intrepido") s’ouvre sur une scène choc et particulièrement sombre : dans une nuit noire, un soldat tâte des corps empilés, récupérant porte feuille, morceau de pain rassi, la pénombre laissant apparaître en fond d’autres corps étendus et d’autres soldats errants. Une scène où la caméra tourne lentement, précédent le soldat, autour de la pile de cadavres, suggérant brûlures et blessures, jusqu’à ce qu’une main, fébrile, s’étire en dehors du tas. Sans transition c’est ce soldat rescapé, un œil en moins, qui va nous emmener vers au autre enfer : un hôpital militaire où l’on décide à une vitesse effarante du destin de chacun : retour fatal sur le front ou séjour prolongé et potentiel retour vers les familles. Là, ce sont trois personnages qui vont tourbillonner autour de patients, dont les images nous détaillent les pathologies (infections, visages mutilés...) et les paroles les sorts (amputations, retour au front...).
Évitant de jouer de manière appuyée la carte de la rivalité amoureuse, le scénario préfère se concentrer sur l’attitude des deux médecins masculins, que sur la femme médecin dont le statut est marqué d’emblée, malgré des excuses, comme inférieur. C’est ainsi une solide amitié qui se traduit à l’écran, faite d’une tendresse discrète, que n’empêche pas une approche radicalement opposée du patient : là où Stefano ne voit que la maladie et la lâcheté, Giulio voit la souffrance, le traumatisme et l'humanité. Se développant sous forme d’un thriller feutré, avec les agissements illégaux du second et la traque de celui qui aide certains blessés à rentrer chez eux, "Campo Di Battaglia" traite de la rigidité et de l'aveuglement militaire. Il bénéfice de la présence de deux interprètes aux belles joutes verbales, Alessandro Borghi et Gabriel Montesi, mais souffre d’un traitement volontairement épuré des intérieurs, certes cohérent en termes de coloris éteints, mais proche de décors de théâtre. Le propos n’en est pas moins pertinent au regard des mobilisations forcées qui sont en cours, dans un monde en tensions.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur